Le Clan des Otori est une saga avec du style (pour ce genre littéraire). Le Vol du Héron en est la conclusion, chronologiquement parlant, et le dénouement mis en scène est intéressant, mais le cheminement scénaristique choisi par Lian Hearn est exaspérant et le récit profondément déprimant.
La fin du récit (à l'échelle macro) est à la fois surprenante et empreinte de réalisme : l’œuvre politique des personnages principaux n'est pas totalement anéantie mais le puissant Saga acquiert les Trois Pays, ce qui était inéluctable malgré ses défaites successives, et Shigeko l'épouse bien qu'on nous ait fait miroiter un "mariage d'amour". Ce dénouement est logique mais il faut du courage pour briser les rêves des lecteurs, habitués dans ce genre littéraire à ce que la fantaisie l'emporte.
Le premier problème c'est la "voie du Houhou", philosophie yin-yang à deux balles qui parsème le récit et est censée le gouverner. Le réalisme s'en trouve nettement dégradé. Attention, il ne s'agit pas là de critiquer les "pouvoirs magiques" des protagonistes (même si la chasse aux chiens laisse carrément incrédule, "ralentir les flèches sans réduire leur énergie", really ? jamais entendu parler de E=mv²/2 apparemment...), mais plutôt l'idée que les événements suivent une logique surnaturelle : l'échec de la mission diplomatique de Takeo serait dû à l'éclatement de l'équilibre mâle/femelle...
L'évolution des personnages est le second problème. Si certains de leurs comportements surprenants sont justifiés (la façon dont Kaede considère les jumelles par exemple), d'autres sont complètement absurdes. La faiblesse extrême de Takeo par exemple qui laisse les Araï et les Kikuta comploter, mettant en danger mortel sa famille et la paix qu'il a installé dans les Trois Pays et donc leurs habitants. Il semblait avoir compris certaines choses à la fin de la Clarté de la Lune sur le monopole de la violence par l'état et la violence légitime, la raison d'état, tout ça. Quelle déception... Il n'exploite même pas les assassins de la Tribu, c'est à se demander comment la paix a pu durer si longtemps. La rage de Kaede n'a pas plus de sens : elle est triste de la perte de son enfant et en colère contre Takeo qui l'a trahie, mais ça ne justifie pas qu'elle foule aux pieds ce qu'elle avait construit politiquement avec lui, leur gouvernance des Trois Pays. A moins qu'elle n'ait jamais eu à cœur d'être une bonne dirigeante, ce qui est tout à fait possible, mais dans ce cas un des deux personnages principaux est une vaine idiote.
On a donc une fin triste mais réaliste, ce qui est une bonne chose tout en étant assez blasant en soi. Mais servie par des personnages au comportement suicidaire absurde, elle en devient complètement frustrante et déprimante, ou agaçante. On ne se dit pas forcément "ainsi va la vie, tout ce qui a un commencement a une fin, memento mori" mais plutôt "ainsi va la vie pour les faibles et les imbéciles", morale bien moins intéressante.
Après si le l'objectif est d'illustrer les méfaits du sentimentalisme dans la conduite d'un état, il est atteint.