Je ne m’étendrai pas trop sur les deux fragments de la deuxième partie qui ont échappé à l'anéantissement total des flammes. Je n'en tiendrai pas compte non plus dans mon avis global, étant donné que l'auteur ne voulait pas qu'ils viennent à notre connaissance. Mais ils ne sont pas dignes du tout de la première (et seule véritable !) partie, cette dernière constituant la quasi-intégralité donc de l'œuvre inachevée (prévue en trois parties en tout !). Nicolas Gogol, animé d'une profonde folie mystique, qui lui gangrenait l'esprit avant de s'en prendre fatalement au corps, se posait ici en piètre moralisateur. On comprend donc qu'il aurait pu détruire par l'encre la qualité d'ensemble avec ce qu'il a finalement détruit complètement (ou presque !) par le feu.
Mais, heureusement, pour la première partie, l'écrivain s'était posé en ce qui faisait sa grandeur, en moraliste. Un moraliste de génie capable, avec un humour féroce et une justesse implacable, de dessiner un personnage ou toute une galerie de personnages, en combinant grands traits et sens du détail, pataugeant dans leur cupidité, leur paresse, leur orgueil, leur égoïsme, leur méchanceté, leur stupidité ; pas un portrait qui ne respire pas une vérité. C'est tout le tableau sans concession d'une époque et d'un pays qui, pourtant, atteint une intemporalité et une universalité incontestables.
On a du plaisir à suivre l'antihéros, Tchitchikov, lancé dans sa troïka à travers l'immensité russe et répandant une escroquerie bien rodée, à base de serfs masculins morts et de fiscalité, profitant des défauts de son prochain pour servir sa propre cause. Un personnage riche, complexe, attachant, car au fond tellement humain, son but final étant de s'acheter une respectabilité des plus respectables à travers des méthodes qui ne le sont pas, un but compréhensible, qui ne peut que nous amener à être empathique.
Très beau moment que celui où il essaye d'inventer un passé à ses âmes mortes, le montrant comme un être se souciant de son prochain, d'une belle sobriété, d'une moquerie affectueuse.
Grosses poilades garanties quand on lit comment une rumeur contamine une ville entière avec une rapidité et une absurdité incroyables. Un grand summum de n'importe quoi rendu crédible par la bêtise profonde de l'être humain.
Le tout sans fin, voyageant dans les paysages flous de la Russie, à toute vitesse, comme si, au fond, notre protagoniste était condamné à errer à jamais tel un fantôme, avec son cocher ivre et son valet puant. Pour moi, c'est une belle conclusion que les dernières pages de la première partie, car donnant l'impression que jamais cela ne se terminera, comme jamais ne mourra le génie de Nicolas Gogol.