Arthur Gordon Pym est un jeune gentilhomme intrépide natif de Nantucket qui s'embarque clandestinement sur un navire et par la même occasion pour des aventures périlleuses qui le conduiront jusqu'au pôle sud, en le faisant passer par une mutinerie, une tempête en mer, plusieurs épisodes de famines et une demi-douzaine d'occasions de mourir. Jusqu'à une fin aussi éblouissante qu'inattendue (pas de spoiler désolé), concentrée sur à peine quelques pages qui valent à elles seules la lecture des 200 précédentes.
Si la langue de Poe, objectivement assez simple, est très bien servie par la traduction de Baudelaire, d'une grande rigueur, les nombreux passages didactiques, qu'il concernent la manière idéale d'arrimer le chargement d'un navire, les coordonnées géographiques du navire rappelées à chaque page du voyage ou les merveilles ornithologiques de telle ou telle île sont des longueurs dont on se serait ben passé (on les admet toutefois très bien dans ce type de roman, surtout écrit en 1838).
Si j'ai été ébloui par AGP, c'est plutôt parce qu'il rassemble et préfigure des thèmes et des éléments narratifs qui deviendront chers à plusieurs romanciers ultérieurs que j'affectionne tout particulièrement :
- Je ne peux m'empêcher de voir dans ces histoires de jeune garçon fougueux en mal d'aventure, de navigateurs des mers du sud et de mutinerie un prélude à l'indétrônable archétype du roman d'aventure qu'est L'île au trésor, que Stevenson écrira 40 ans plus tard (et à Moby Dick de Melville que je connais peu).
- L'hommage rendu à ce livre par Les Montagnes Hallucinées est désormais quasi transparent et fait dans mon esprit écho à ma remarque concernant l'aspect daté du texte de Lovecraft. Car la parenté s'étend de l'objectif du voyage aux mystères abrités par celui-ci, mais concerne également le style (très scientifique) et la langue.
- La façon qu'à Poe d'introduire, insidieusement mais vigoureusement un fantastique très sombre dans une histoire jusqu'alors clairement ancrée dans la réalité du quotidien (même extraordinaire) est très comparable à celle qu'utilisera 120 ans plus tard notre cher Borges dans plusieurs nouvelles que j'ai pu lire (Le rapport de Brodie et L'évangile selon Marc pour en citer deux, extraites du Rapport de Brodie lu récemment).
- Jules Vernes qui a écrit en 1897 rien moins que la suite des Aventures d'Arthur Gordon Pym dénommée Le Sphinx des Glaces a assez évidemment été marqué en profondeur par ce roman.
Arthur Gordon Pym mérite donc d'être lu pour deux raisons tout à fait complémentaires : pour son histoire et ses qualités narratives d'une part, mais aussi (et peut-être surtout) pour son caractère éminemment fondateur de tout un pan de la littérature d'aventure et fantastique !
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