Saleté de bouquin !... Je ne voulais pas lire ce livre ! Je ne sais plus quand j’en ai entendu parler ou lu une promo dithyrambique quelque part, mais quand j’ai approfondi, j’ai compris qu’il n’était pas pour moi. Maladie, cancer, perte d’un être cher… : mon gendre a un cancer (destructeur)… ma fille a un cancer… quant à mon crabe perso, aucune importance, j’ai fini ma vie !... Mais voilà, Costa Gavras, invité à la télé, vante les qualités du livre : ma femme me demande de le lui commander… je le lis, et… saleté de bouquin, il m’émeut aux larmes !
Serge Albert Toubiana, né en 1949 à Sousse en Tunisie, est un journaliste et critique de cinéma français. Il a été, de 2003 à 2016, le directeur de la Cinémathèque française. Il est président d'Unifrance depuis juillet 2017, organisme en charge de la promotion et de l’exportation du cinéma hexagonal dans le reste du globe. Depuis 1989, il était le compagnon d'Emmanuèle Bernheim, décédée le 10 mai 2017 des suites d'un cancer du poumon.
Emmanuèle Bernheim est une romancière, essayiste et scénariste française, née en 1955. Auteur du Cran d'arrêt en 1985 et d’Un couple en 1988, elle obtient en 1993 le prix Médicis avec son roman Sa femme paru aux éditions Gallimard. Et le Grand prix des lectrices de Elle en 2014 avec Tout s’est bien passé, paru chez Gallimard. Pour le cinéma, elle collabore avec François Ozon à l'écriture des scénarios des films Sous le sable, Swimming Pool et 5×2. Son roman, Vendredi soir (1998), est adapté au cinéma par Claire Denis dans le film homonyme. Avec Michel Houellebecq, elle a écrit l'adaptation cinématographique de Plateforme.
Le 21 février 2018, Serge Toubiana déclare sur France Culture, après la sortie de son livre : " Je n'avais pas de projet d'écriture, je voulais accumuler des images d'elle", néanmoins il écrit : « Écrire pour être à ses côtés et prolonger le bonheur d’avoir vécu auprès d’elle. Écrire pour combler le vide, l’absence. Pour raconter le film de sa vie. Et faire en sorte qu’il ne soit jamais interrompu. Je n’ai pas décidé d’entamer l’écriture de ce livre la veille de sa mort. C’est lui qui s’est imposé à moi, comme une évidence. Avec cette image d’elle nageant du côté des bouées jaunes. Écrire est devenu ma bouée et je me suis accroché à elle ».
Alors qu’elle sent que le moment est venu, Emmanuèle s’inquiète et demande à Serge « Et toi, tu vas tenir ? », il tiendra en écrivant. Écrire pour prolonger la vie, écrire pour prolonger l’amour. Il nous parle d’elle, la fait revivre et découvrir à tous ceux qui ne la connaissait pas ou mal. Son plaisir pour la natation : « Nager pour elle était un besoin absolu doublé d’un vrai plaisir », son intérêt pour l’art et le cinéma « En fait elle aimait le cinéma, en rejetant toute cinéphilie, synonyme d’esprit de chapelle et de cloisonnement […] Pour elle, l’art devait nécessairement transmettre de l’énergie, de la force, du courage pour se battre […] La violence, au cinéma, elle l’aimait par-dessus tout, prolongeait en quelque sorte la sienne ». Elle portait en elle cette violence qui lui venait du fond des temps et qui l’opposait perpétuellement à ses parents, à son père avec lequel elle entretenait une relation du genre Je t’aime – Moi non plus : lorsqu’elle quitte son travail aux Cahiers du cinéma pour écrire son premier roman, Cran d’arrêt, c’est pour prouver à son père qu’elle est capable d’écrire, et sa réussite se concrétise par une invitation à l’émission de Bernard Pivot où elle fait une brillante prestation devant des invités prestigieux comme Jean d’Ormesson. Impatiente elle attend les commentaires de son père « pourtant, tout ce qu’il trouva à lui dire au téléphone le lendemain du passage chez Pivot c’est que si elle souhaitait « se faire refaire le nez », il lui offrait volontiers l’opération ».
Victime d’un AVC, sur son lit d’hôpital son père lui demande de l’aider à mourir. Ce sera le thème de son livre Tout s’est bien passé, paru en 2013. « Enfin débarrassée du poids de la maladie de son père et de ce qu’il incarnait pour elle », elle acquière la Maison du Bonheur, sur l’Île-aux-Moines, dans le Golfe du Morbihan et se consacre entièrement à sa restauration, pendant deux ans, pour en faire « La maison. La maison libre de tout. Après les parents. Rien d’eux. Pas demandé leur avis : HOME ».
Serge se souvient, les derniers jours, Emmanuèle dans sa chambre d’hôpital recevant tous ses amis, pour un dernier adieu, « Jusqu’au bout je vis qu’elle était lucide et vivait les instants présents avec une intensité folle, sachant qu’ils étaient les derniers », elle montra un courage qui fit l’admiration de tous, mais « je crois aussi que pour elle, qui a écrit avec un tel talent, une précision et un sens de l’ellipse la mort de son père dans "Tout s’est bien passé", une mort brave et courageuse, il n’était pas question qu’elle fasse "moins bien que lui", ni bien sûr qu’elle se plaigne de son sort ». Enfin il nous confie que « pour moi aussi, "tout s’est bien passé", à condition de ne rien voir, en continuant de vivre comme si de rien n’était, en l’aimant du plus profond de mon être et de mon âme ».
Ce livre est un chant d’amour qui relie à jamais deux êtres fait l’un pour l’autre « La vie a passé vite, on a passé vingt-sept ans ensemble, je ne me suis jamais ennuyé avec elle. Il n'y avait rien qui nous détournait l'un de l'autre, le cinéma en plus, l'île aux Moines, un lieu crée comme une utopie... (France Culture) », écrit avec simplicité, sincérité et réserve.