Les Braises est un petit livre vibrant d'intensité, qui témoigne d'une remarquable adresse narrative. Pour faire simple — et sans déflorer l'intrigue elle-même —, un vieillard, le général, reçoit un ami d'enfance dans son château, pour explorer leur passé commun. Le roman est, comme je le dis, très habile dans la mesure où la tension dramatique ne fait que s'accentuer : il procède selon une structure concentrique (en oignon ?), enlevant progressivement les couches extérieures pour en arriver au cœur de la rencontre. En cela, il fait un peu penser à un roman policier en miniature, à une longue confrontation entre un enquêteur et son suspect ; même si (comme le formule l'un des personnages) ce sont moins les faits qui importent que les sentiments et les passions qui ont pu les guider.


Huis-clos d'enquête, le roman se fait aussi moraliste ; les personnages parlent de la vie, de grands principes, bien que ces discussions ne soient (au fond) que les habillages du dénouement (on remarque une fois de plus l'adresse de construction du roman, dans lequel les discussions abstraites préfigurent toutes une confrontation finale sur les événements qui ont séparé les deux amis). C'est aussi et enfin un excellent roman psychologique : cette longue conversation qui divague, se resserre graduellement, prend d'abord des allures de discussion de principe pour finalement révéler que derrière les principes sommeille un cas d'espèce, m'a rappelé de longues et difficiles conversations de ce type.


Quelques défauts, toutefois : l'ambiance installée (résumée dans le joli titre original, qu'Internet traduit “Les chandelles brûlent jusqu'au bout” — A gyertyák csonkig égnek) manque parfois de subtilité, et le parallèle entre la vie finissante des vieillards, le cadre grandiose et décati de leur entretien, et la décadence de l'Empire austro-hongrois, est installée avec une régularité qui devient parfois pesante. Reste que la découverte de Márai (semble-t-il, peu après son suicide en 1989) nous a rendu un romancier d'une vivacité et d'une acuité rare.


Une citation pour la route : « Être différent de ce que l’on est… est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes. Car la vie n’est supportable qu’à condition de se résigner à n’être que ce que nous sommes à notre sens et à celui du monde. Nous devons nous contenter d’être tels que nous sommes et nous devons aussi savoir qu’une fois que nous aurons admis cela, la vie ne nous couvrira pas d’éloges pour autant. Si, après en avoir pris conscience, nous supportons d’être vaniteux ou égoïstes, d’être chauves ou obèses, on n’épinglera pas de décoration sur notre poitrine. Non, nous devons nous pénétrer de l’idée que nous ne recevrons de la vie ni récompense ni félicitations. Il faut se résigner, voilà le grand secret. »

Venantius
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le 23 août 2015

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