Pièce littéraire assez hors du commun, ce monologue plonge la lectrice dans l’esprit d’un personnage atypique, un véritable anti-héros de roman. Par sa narration, qui peut sembler déstructurée et rappelle le courant du flux de conscience tant elle semble se construire au gré des pensées du personnage du sous-sol, le texte fait sourire en nous mettant face aux nombreux défauts du narrateur, dont on ne connaîtra d’ailleurs jamais le nom. Caractériser le personnage par ses pensées (y compris les inavouées car inavouables) et par son langage s’affiche ainsi comme le projet littéraire, explicité en fin d’ouvrage, et joue sur la recherche de dimension autobiographique opérée par le lecteur, provoquée par la note positionnée en préambule qui affirme la fictionnalité du texte. Les carnets nous livrent leur propre processus de rédaction, et cet aspect métalittéraire évident a un côté plaisant, notamment lorsque notre personnage-auteur projette la réaction du public auquel il s’adresse dans sa conversation fictionnelle. Ce roman est avant tout le récit d’une vie empêchée (et aussi de l’oeuvre, dont la rédaction s’arrête abruptement) par les défauts humains au centre desquels se place la jalousie, or c’est là une véritable invention que de donner à lire la mise en scène par un personnage de ses obsessions de façon aussi explicite. Pour autant, le texte pourtant court peut sembler à un moment assez redondant, même si l’on comprend l’intérêt d’un tel dispositif, voué à restituer l’état d’esprit obsessionnel du personnage. L’explicitation des différences genrées, dans le passage avec Lola, a le mérite de souligner le sexisme ambiant dans la société décrite, et, se soldant par un énième comportement égoïste et paranoïaque du narrateur, d’inclure notre protagoniste dans le problème. Livrant ses considérations politiques et philosophiques notamment dans la première partie mais aussi dans le reste du récit, notre rédacteur esquisse un grand nombre de sujets interrogeant l’inanité de l’existence et la possibilité de la volonté propre, ne pouvant s’empêcher de passer, malgré lui semble-t-il, du coq à l’âne.


Ainsi, loin d’une narration classique, ce roman attise la curiosité pour le reste de l'œuvre de son auteur, dans laquelle, on peut l’espérer, il n’arrête pas sa rédaction comme son personnage et développe les thèmes ici esquissés.


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