Les histoires de chouannerie, de guerres de Vendée ne me passionnaient guère quand j'étais jeune (et même encore, d'ailleurs). Au lycée, j'avais un copain qui avait été super emballé par "les Chouans" de Balzac. Me voyant plutôt réticent à cause du sujet, il m'avait encouragé. "Lis-le, tu seras surpris". Et comme il "bouffait" autant du curé que moi, sinon plus, ma réticence a fondu et je me suis laissé entrainer. Je n'ai pas regretté.
Je viens de le relire à nouveau pour la troisième fois, au moins … Et la magie a encore opéré. Peut-être en rajoutant même quelques qualités supplémentaires, suite entre autres, à une plus grande connaissance du cinéma aujourd'hui, par rapport à ma lointaine première lecture.
C'est un des premiers romans de Balzac qui a subi de nombreuses retouches et dont le titre fut modifié à plusieurs reprises. Il n'en était pas satisfait de son roman, parait-il, qu'il qualifiait de "croute". Et comment le qualifier car c'est à la fois un roman historique, un roman d'amour et un roman d'espionnage.
Un roman historique.
Balzac évoque des évènements (guerre civile) qui se sont déroulés dans l'Ouest de la France. Mais dans le roman de Balzac, on ne parle pas des deux premiers soulèvements en 1792 puis 1796 (qu'on appelle première et deuxième guerre de Vendée). Balzac situe son roman en 1799, sous le consulat donc, alors qu'une nouvelle insurrection surgit dans la région de Fougères.
Comme il le dit lui-même dans le roman, il s'agit d'un nouveau sursaut commandité par la monarchie en exil à propos notamment des réquisitions en hommes pour la défense du pays.
"Mais les insurrections de ces campagnes n'eurent rien de noble, et l'on peut dire avec assurance que si la Vendée fit du brigandage une guerre, la Bretagne fit de la guerre un brigandage."
D'ailleurs, Balzac commence son roman par une attaque d'un convoi militaire par une bande de chouans commandés par deux nobles (le marquis de Montauran alias le Gars et Madame du Gua) qui s'opposent sur la méthode. Si le premier, jeune idéaliste, se bat pour des idées et le Roi, la seconde n'hésite pas à profiter des aubaines pour récupérer ou voler (c'est selon le point de vue) l'argent où il se trouve et à le répartir entre chouans, histoire de les motiver un peu plus.
Un roman d'espionnage
Fouché, alors ministre de la police sous le Consulat, apporte sa contribution en appui aux militaires républicains (les bleus) en y faisant intervenir sa police. Et comme arme secrète, il dispose d'une jeune femme Marie de Verneuil, fille naturelle d'un authentique aristocrate, qui n'a pas froid aux yeux mais qui va tomber amoureuse de sa cible. Franchement, les auteurs de romans d'espionnage du genre Ian Fleming ne feront pas mieux. Sinon que les romans de Fleming sont la proposition inversée. La femme, séductrice en diable, créature issue du Mal, s'attaque à 007 qui parviendra à se libérer des pièges tendus, in extremis, bien sûr. Chez Balzac, la créature est d'abord une patriote (même si elle est manipulée de près par le sinistre Corentin) et ensuite une femme séductrice.
C'est sur ces aspects d'espionnage que je trouve le roman bien actuel dans cette guerre de l'ombre où les traitres, où les gens trop bavards sont exécutés sans aucune compassion et où, finalement, tous les coups sont permis. Un roman qui comporte une bonne part d'aventure et de suspense …
Un roman d'amour
De nombreux rebondissements rendent palpitante l'histoire d'amour entre l'espionne Marie de Verneuil et le Gars, le chef des chouans, le marquis de Montauran. Ces rebondissements sont principalement liés à une rivale, madame Du Gua, qui utilisera tous les moyens possibles pour discréditer puis humilier Marie. La description de l'idylle naissante et réciproque, des sentiments contradictoires, des allers et retours amoureux, est tout simplement sublime. On ne voit jamais autant que dans ce roman à quel point la haine est aussi proche que l'amour. Il suffit d'un peu de perfidie, de manipulation pour que l'amour le plus absolu se transforme en haine viscérale.
Roman que je trouve, politiquement, très équilibré. Au-delà de l'image que Balzac véhicule de cette insurrection qui relève du brigandage, au-delà de l'histoire d'amour très belle, Balzac oppose un royaliste pur dans ses idées face à Hulot, un vieux républicain, "image vivante de cette énergique république pour laquelle il combattait".
Mais, pour finir, laissons Marie de Verneuil se dévoiler (enfin, presque)
"— Mademoiselle, dit-il avec une émotion mal déguisée, êtes-vous fille ou femme, ange ou démon ?
— Je suis l’un et l’autre, reprit-elle en riant. N’y a-t-il pas toujours quelque chose de diabolique et d’angélique chez une jeune fille qui n’a point aimé, qui n’aime pas, et qui n’aimera peut-être jamais ?"