J’avais lu ce recueil au lycée, il y a vingt ans de cela, sans grand plaisir, et je me rappelais surtout d’une sorte de fatras métaphysique encombré de spiritisme (image assez ridicule de Victor Hugo faisant tourner les tables), avec quelques visions aussi frappantes que sombres.
J’ai commencé à relire Les Contemplations l’année dernière, après avoir appris à aimer le style hugolien malgré ses lourdeurs : ce fut un éblouissement. Jamais un recueil ne m’a autant frappé que cette extraordinaire autobiographie poétique, qui semble retracer toute une vie, des amourettes adolescentes aux interrogations métaphysiques, en passant par la douleur du deuil et de l’exil, de la tendresse à l’horreur, avec, pour finir, la vision hallucinée des morts sous la terre (« Au bord de l’infini »).
L’écriture poétique est bien sûr très riche, mais aussi parfois très théâtrale, et il faut parfois lire à haute voix pour en sentir les grondements, les fureurs, et les changements presque imperceptibles de tonalité amenés par la prosodie.
(Il y a d’ailleurs dans le recueil un moment plus faible : il s’agit, dans la section « En marche », de poèmes de remerciement à ceux qui lui ont dédié des œuvres, ou l’ont aidé dans l’exil ; ces poèmes font penser à des visites de courtoisie qu’on rend par politesse, en étant sûr de s’ennuyer ; comme dans ces conversations convenues, ils n’offrent rien de vraiment novateur ou intéressant.)
Peut-être peut-on reprocher parfois une certaine redondance, notamment dans les poèmes métaphysiques, mais est-ce vraiment un défaut si le poète exprime plusieurs fois la même chose, mais avec des moyens sans cesse renouvelés ? Surtout, Victor Hugo construit tout son recueil sur les échos créés par ces motifs, ces thèmes et ces rimes répétés, le recueil est donc structuré par une sorte d’approfondissement du sens, imitant en quelque sorte le parcours d’une vie qu’enrichit progressivement l’expérience. Ainsi, les fleurs qui célèbrent la nature et les premières idylles au début du livre deviennent ensuite offrandes à la fille défunte pour finir par représenter l’exemple peut-être le plus étonnant de la théorie de la métempsychose développée à la fin : les fleurs renferment les âmes des damnés et elles crient ! Que l’on soit étranger à ce mysticisme ou non, on ne peut être qu’impressionné par cette longue et incroyable aventure poétique, « au bord de l’infini ».