"Ô liberté ! Que de crimes on commet en ton nom !"

Le parfait exemple de l'auteur adulé de son vivant et quasiment oublié après sa mort, plaçant juste son nom sur un arrêt de bus ou une station de métro sans que personne n'ait l'idée de chercher qui il était ? Jusqu'à se demander quel était son sexe par certains de nos chers bacheliers cuvée 2016 à l'intelligence flamboyante. Vous imaginez ? Anatole France, un nom qui apparaîtrait maintenant un peu trop patriotique, aujourd'hui qu'il est de bon ton de cracher sur le drapeau tricolore, et puis, surtout, ce qui transparaît à travers la lecture du roman, un type de gauche lucide et qui savait prendre du recul... oh mon Dieu, hérésie...


Et ceux qui ont la vision simpliste d'une Révolution française avec des lendemains qui chantent, la fin des injustices sociales, la fin de l'arbitraire, la victoire finale du peuple, tout ça tout ça..., ont dû faire la soupe à la grimace...


Ah oui, une dernière chose, un type qui utilise plus de cent mots de vocabulaire différents n'a pas un style désuet, ce sont juste les générations suivantes qui ont dégénéré.


Bon, le roman... Le citoyen Évariste Gamelin, malgré le fait qu'il soit un élève de David, n'a pas fait grand-chose de prestigieux dans sa carrière de peintre. D'autant plus qu'il est plus que jamais pris par sa soif de justice animée comme jamais par la Terreur. Il croit en la Révolution. C'est un "pur", un incorruptible. Et le fait qu'il soit nommé juré au tribunal révolutionnaire ainsi que son ardeur robespierriste vont exciter sa fièvre. Des charrettes et des charrettes d'innocents plus tard, pour lesquelles il a eu sa part non négligeable de responsabilité, il continuera pourtant, même au pied de la Veuve (désolé pour la révélation, mais dès les premières lignes de toute façon vous sentez que ça ne peut pas finir autrement !), de croire que son combat était juste et pour un monde meilleur... Bref un niais imbécile pétri de bonnes intentions, mais un niais imbécile jusqu'au bout...


Autour de ce crétin, on croisera une belle galerie de personnages secondaires dont le plus beau et attachant est sans conteste Brotteaux, représentant certainement la pensée de l'auteur, ancien aristocrate épicurien, ne croyant pas en Dieu, mais doté d'une grande générosité envers son prochain quel qu'il soit et porté par un pragmatisme impossible à prendre en défaut, l'antithèse parfaite de notre protagoniste. Certaines scènes dans lesquelles il apparaît sont fortes pour ne pas dire poignantes.


Les Dieux ont soif, ou le cauchemar éveillé des lendemains qui déchantent, où c'est la frénésie du sang (qui mènera par ailleurs notre protagoniste aussi à une frénésie de sexe, sans passion, sans romantisme, juste pour tenter d'apaiser une frénésie, vision réaliste mais pourtant peu montrée, pour ne pas dire presque jamais, dans la littérature de l'époque !), sous couvert d'une soi-disant justice, qui règne. Une œuvre aussi glaçante que bouleversante.



C'est la certitude qu'ils tiennent la vérité qui rend les hommes
cruels.


Plume231
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le 16 avr. 2017

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