J'aime la poésie. J'aime le français. J'aime la littérature. Pourtant, ce recueil ne m'a point touché, bien loin de ça. J'aime lire en général, j'aime également écrire. Je ne prétends pas avoir le talent de Baudelaire. Et pourtant, je désapprouve sa vision de l'art.
Je tiens à faire savoir que je ne remets pas en cause le talent de Charles Baudelaire dans cette critique. Il maniait très bien les rimes, les jeux de mots, décrivait avec soin certains paysages et avait un vrai talent pour retranscrire certaines émotions et visions abstraites. Et pourtant.
Je n'ai pas aimé les Fleurs du Mal. Forcé comme bon nombre de lycéens de l'étudier en année de Première au lycée, je n'ai pas rechigné à la tâche. Je suis un bon lecteur et bon élève, et je suis toujours content de découvrir un classique littéraire. Combien ai-je été déçu !
Les Fleurs du Mal est un recueil de poèmes qui a chamboulé son époque. Il a combattu la censure, a rompu les moeurs et a défié les consciences. Soit. C'est en soi quelque chose d'honorable et d'intéressant à savoir, ne serait-ce que pour une petite histoire de la littérature française.
Mais pourquoi en faire le fer de lance de la poésie française auprès de nos jeunes ?
Le recueil est divisé en plusieurs sous parties, comme "Spleen & idéal" (plus grande sous-partie), où l'auteur relate ses pensées sombres, sa réflexion, son désespoir... Mais le problème est qu'il n'y a, au fond, qu'une seule et même réelle partie à ce recueil. Celle de la tristesse. Les parties sur "la mort", "le temps" ou "les vins" ne sont qu'un joli décor pour regrouper de vagues sous-thèmes à l'ambiance sous-jacente qui émane constamment de cet ouvrage : la plainte. Le poète passe son temps à se plaindre. Il est triste de ses amourettes, du monde dans lequel il vit, de son enfance difficile, de tout. Compréhensible : il est dans son droit (heureusement), et la poésie est un excellent exutoire. Néanmoins, le problème réside là. Le poète est dévoré par sa douleur et se retrouve finalement... non pas consummé, c'eût été encore poétique, mais défraîchi par cette dernière, et il se tourne vers le Mal pour écrire.
Ce qui aurait pu transcender les genres et les années se retrouve finalement flasque et parfois insipide. Les rares frasques de goût sont écoeurantes et donnent la nausée, comme dans "Charogne", tristement célèbre alors que rien n'y est envoûtant ; comparer son amante à un cadavre n'est pas très poétique. L'idée de "changer la boue en or" tel l'alchimiste est plus que louable, mais la maladresse avec laquelle elle est appliquée est difficilement supportable. Certains poèmes sont centrés sur des choses naturellement hideuses, perverses (viols et assassinats) ou encore violentes, et les décrire avec des mots doux ne les embellit pas pour autant. Elles sont tout aussi atroces qu'auparavant ; bien qu'elles soient peignées avec soin et délicatesse, elles restent répugnantes. Un jour, il croise une prostituée, fait qu'il relate dans "A une mendiante rousse". Il la compare alors dans son poème à une reine, la décrit avec douceur et magie, et nous fait renaître l'innocente jeune fille cachée sous les haillons et le dédain des passants. Puis, de façon abrupte, il finit par se lasser et la jeter sans vergogne, avec dégoût, la condamnant "à n'être qu'une catin" à jamais, le déclamant comme un truisme, prouvant son incapacité à aimer l'humain et éprouver de l'empathie.
Saviez-vous que Baudelaire avait pour passe-temps de se balader dans les rues à la recherche de mendiants et SDFs afin de les battre de sa canne ? Quand ceux-ci ripostaient, il demandait alors à arrêter le combat et déclarait "c'est bien, tu t'es battu face à la vie. Alors bats-toi et quitte ta situation actuelle". Son manque d'empathie horripilant n'est pas son seul trait de caractère négatif, puisqu'il était également un drogué (heureusement, il dénonce l'effet des drogues) victime de la syphilis totalement dépressif. S'il est vrai que son début de parcours ne fut pas facile et prête à la sympathie, avec l'absence de chaleureuse figure paternelle et un beau-père abusif, il prouve par la suite qu'il a appris tout seul comme un grand à être toxique avec son environnement. Issu d'un milieu riche mais côtoyant majoritairement les milieux les plus pauvres, il s'enfonce seul dans sa solitude, ne trouvant jamais satisfaction dans personne, et ses amantes le lassent quant elles ne se lassent pas de lui. Il renvoie constamment sa douleur à l'incompréhension générale face à sa personne, alors qu'il se montre violent, égoïste et jaloux. Il écrit des poèmes à rallonge dont on ne démêle plus ni le début ni la fin, fait des conjectures sur autrui et revient toujours à radoter sur sa mort et la mort de l'art. Pourtant, il prouve à plusieurs reprises qu'il tue l'art lui-même : figure tragique que certains idolâtrent, son râle constant met à l'épreuve patience et bon goût.
Je ne mets néanmoins pas la note négative la plus basse, car il est vrai que Baudelaire, comme je l'écris au début de cette critique, a un talent indéniable. Il lui arrive d'écrire un poème saisissant de réalisme, de raconter l'histoire d'un amour impossible ou encore de décrire le quotidien d'une personne. Il lui arrive aussi d'innover incroyablement, notamment avec la synesthésie ou des thématiques fortes, oui. Cependant, il retombe la grande majorité du temps non pas sur ses pattes et les pieds dans le plat, mais bien à côté, sur le dos, sur la table, la bouche entrouverte à baver un déversement de colère et de douleur.
En bref, les Fleurs du Mal est un recueil bien écrit. Il y a quelques poèmes qui soyons honnêtes, sont beaux, et de temps à autre, très beaux. Néanmoins, malheureusement, le recueil est avant tout long, pénible à lire, et l'esprit de l'auteur qui se révèle dedans nous apparaît plus détestable qu'admirable. L'échec retentissant de la thématique du laid vers le beau est aussi un apport au désappointement ressenti. Je mets ainsi un 3/10 car il y a du talent derrière, mais je le trouve personnellement gâché, et je veux être généreux pour les quelques poèmes qui en valent la peine. Dépeindre la douleur, le monde et la solitude en s'apitoyant sur son sort ou en se montrant cruel et intolérant, ça n'est pas se faciliter la tâche pour se sortir de son mal-être, ou inviter à être aimé.