C'était il y a trois ans, j'avais alors 14 ans. Léo Ferré et Serge Gainsbourg m'avaient déjà chuchoté une de leurs références, qu'ils appelaient Charles, comme un frère. J'ai plus tard su son nom de famille: Baudelaire. Ces deux-là m'ont poussé à admirer leurs textes. Et puis, un jour que j'étais chez un ami, j'ai emprunté son chef d’œuvre absolu, "les Fleurs du Mal". Je l'ai lu en mer, durant mon voyage pour l'Angleterre. Ainsi a commencé ma fraternité avec ce livre. J'ai alors compris pourquoi Gainsbourg et Ferré le tutoyaient: Charles est notre frère, à nous les damnés, les extra-terrestre, les rêveurs, les écorchés. Et ses poèmes sont comme des mains pour nous accompagner dans cette chienne de vie. Comme un réconfort. Comme une compassion. Et que ce soit dans ces instants où l'Hiver est trop tyrannique, que ce soit durant des moments d'extrême solitude, j'ai toujours pu compter sur lui pour pleurer avec moi. Et reprendre du poil de la bête grâce à lui.
Mais en plus d'être un poète qui a sublimé la souffrance avec un talent inégalé, c'est également LE poète de la Mer. J'estime, personnellement, que faire un poème digne sur la Mer, sans verser dans la niaiserie ou dans le sinistre, avec le vocabulaire idéal pour décrire les sentiments qui nous envahit devant elle, est particulièrement dur. Il a réussi, et pas qu'une fois. Notamment dans mon poème préféré de lui, "Le Voyage". Il avait tout compris.
"Spleen et Idéal" (rien que le titre est beau) est largement la catégorie la plus remplie. Poèmes les plus beaux (mais ils sont tous à lire absolument !): "Bénédiction", "l'Homme et la Mer", "la Géante", "Le serpent qui danse" (le meilleur poème sur le sentiment amoureux), "harmonie du Soir", "l'invitation au voyage" (son poème le plus accessible également), "Spleen" (même si la première partie est plutôt bof.. les trois autres sont déchirantes), "le tonneau de la Haine", "l'albatros" (pourquoi ce poème est si peu étudié dans les écoles ?), "l'Examen de Minuit" (avec le monumental Nous avons insulté ce que nous chérissons et flatté ce qui nous rebute... les pièces condamnées sont elles aussi remarquables (à part "Lesbos", où j'ai du mal).
"Les tableaux Parisiens" a un bijou principal, "à une passante". "Le Vin", dont on aurait pu redouter qu'il soit répétitif ou réducteur, est très surprenant et macabre. J'aime particulièrement "Le Vin de l'Assassin". "Les Fleurs du Mal" (quel titre, nom de Dieu !) et "Révolte" (avec l'avant-gardiste "Reniement de Saint-Pierre") sont aussi remarquables que le reste. Et enfin "la Mort", avec le Monument "Le Voyage".
Ça fait "livre obligatoire à lire au collège", j'en ai parfaitement conscience, et moi aussi ces pratiques me saoulent. Mais il est véritablement incontournable. C'est la Beauté à l'état brut, et c'est très difficile de s'en détacher. Comme d'un frère.