De son premier titre en 2017 Munyal ou les larmes de la patience.
J'ai commencé par entouré dès le début du livre toutes les occurence du terme "patience" avant d'aller rechercher ce que signifiait également "Munyal". C'est là que je me suis rendu compte que le terme était présent dans le titre initial.
"Munyal, en langue peule, veut dire patience, endurance, tolérance, persévérance, maîtrise de soi, mais aussi, on le voit, résignation, étouffement, absence de liberté et de prise d'initiative, privation, souffrance, tristesse et "larmes" donc, directement associées à ce terme dans le titre."
Un récit de vie sublime et boulversant, à travers trois points de vue, trois destins liés.
Difficile de fatalité. Diificile de voir, en face, la violence et la brutalit de ce qu'endure des femmes au quotidien mais aussi la rivalité entre elles. Grâce à Djaïli Amadou Amal j'ai une profonde empathie, et tant d'émotion en vers ces femmes... Ces femmes qui existent sans exister.
Un livre tout en émotion que j'ai dévoré.
Les mots qui me restent graver, page 140 :
Il est difficile, le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs les moments d'insouciance. Nous n'avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C'est ce que j'ai fait moi, durant toutes ces années. J'ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs.
Et enfin, Hindou qui raconte sa folie avec l'anaphore de "J'ai changé. On dit que je suis folle" II, chapitre VII, page 171 à 177 :
"J'ai changé. On dit que je suis possédée. Qu'un djinn malveillant me hante. C'est normal, une jeune accouchée a le corps fragile et sans défense. Les mauvais esprits qui soufflent ne peuvent que l'investir. Cela, on le savait déjà ! Ma famille a commencé a s'inquiéter. J'ai changé. Je ne suis pas malade. Les autres s'alarment pour rien. Je suis juste oppressée. Pourquoi m'empêche-t-on de respirer ? Je suffoque dans la pénombre de cette chambre. On dit que je suis folle. Ça m'inquiète un peu. Le suis-je vraiment ? Tous ces gens qui me tournent autour me rendent anxieuse. Ces regards inquisiteurs. Ils ont des affirmations de plus en plus tranchées sur mon état. J'ai peur des horreurs, pleines de certitude, qu'ils débitent. Je suis soucieuse. J'ai changé ? On dit que je suis folle. Dans toute la maison, les haut-parleurs diffusent le Coran. Il y a du bruit. Beaucoup trop. Cela me donne des bourdonnement dans la tête. Trop de gens parlent en même temps. Je crie pour me faire entendre. Je hurle pour qu'on arrête ce tapage qui martèle mon cerveau. On me regarde avec tristesse. Je dois vraiment être possédée ! Ce n'est pas un bruit, c'est simplement la psalmodie du Livre sacré.
On dit que je suis folle et que j'ai changé. Cela fait combien de temps que je suis restée dans ma chambre, surveillée de près par ma tante ou par ma mère ? Combien de séances de prières ont murmuré les marabouts au-dessus de ma tête ? Combien de litres d'eau bénite ont-ils aspergée sur moi et m'ont-ils obligée à ingurgiter ? Combien de litres de décoction aux racines de gaadé m'ont-ils aussi fait boire ? Combien de kilos d'herbes ont-ils brûlés pour que j'en respire les fumées ?
J'ai l'impression d'étouffer, de chercher en vain l'air et de ne pas pouvoir respirer. De ne voir autour de moi que des fantômes. De ne plus jamais pouvoir tenir sur mes jambes. De ne plus retenir aucune information. J'existe sans exister.
Et j'ai envie de crier sans pouvoir ouvrir la bouche, de pleurer sans avoir de larmes, de dormir sans jamais me réveiller.
On dit que je suis malade et que je ne devrais pas bouger. On dit même que je deviens dangereuse. Ce djinn qui me possède doit être un mâle, car je ne supporte plus la vue de mon mari ni d'ailleurs celle, plus rare, de mon père ou de mes oncles. Ce djinn doit être amoureux de moi ! On dit qu'il se serait probablement infiltré dans mon corps quand j'étais plus jeune. Sûrement, lors d'une visite chez mes grands-parents. Car il y a dans leur maison un grand baobab. Et l'on sait que les baobabs sont les demeures des djinns !
On confirme que je suis folle. On commence à m'attacher. Il paraît que je cherche à fuir. Ce n'est pas vrai. Je cherche juste à respirer. Pourquoi m'empêche-t-on de respirer ? de voir la lumière du soleil ? Pourquoi me prive-t-on d'air ? Je ne suis pas folle. Si je ne mange pas, c'est à cause de la boule que j'ai au fond de la gorge, de mon estomac si noué qu'aucune goutte d'eau ne peut plus y accéder. Je ne suis pas folle. Si j'entends des voix, ce n'est pas celle du djinn. C'est juste la voix de mon père. la voix de mon époux et celle de mon oncle. La voix de tous les hommes de ma famille. Munyal, munyal ! Patience ! Ne les entendez-vous pas aussi ? Je ne suis pas folle ! Si je me déshabille, c'est pour mieux inspirer tout l'oxygène de la terre. C'est pour mieux humer le parfum des fleurs et mieux sentir le souffle d'air frais sur ma peau nue. Trop d'étoffes m'ont déjà étouffée de la tête aux pieds. Des pieds à la tête. Non, je ne suis pas folle. Pourquoi m'empêchez-vous de respirer ? Pourquoi m'empêchez-vous de vivre ?"