[Science Fiction (Anticipation, Dystopie)]
Philip K. Dick, le Géant de la SF, avait un don certain pour perdre son lectorat dans les méandres de ses propres pensées, le conduisant au fur et à mesure des lectures dans une remise en question philosophico-socio-religieuse (la plus part du temps) à travers des codes très simple que seul un homme avec un passé comme celui de l'auteur peut décrire avec autant de brio, la schizophrénie, la paranoïa et la confusion de l'imaginaire avec la réalité. Les Joueurs de Titan en est un parfait exemple, mélangeant des thématiques familières à ses autres oeuvres (aliens gluants, pouvoirs psychiques, drogues, simulacres, etc...) à un univers nouveau, celui du monde du jeu.
Nous suivons la vie de Pete Garden, un terrien "Possédant" (c'est à dire ayant des propriétés terrestres lui appartenant, lui donnant l'avantage de pouvoir jouer au jeu, "le bluff", s'opposant ainsi aux non-P(ossédants) qui eux non pas le droit de jouer), le personnage est un être perdu, suicidaire, accro aux médicaments et détenteur de villes californiennes.
La narration se concentre ingénieusement sur ce personnage dans un état second en début de roman, nous le suivons entrain de se déplacer dans le décor en résumant sa soirée, ce qui permet d'amener les détails du paysage, l'univers se dessine sans lourdeur, naturellement. Un monde souffrant encore des conséquences d'une guerre ayant eut lieu cent ans avant, opposant les terriens aux titaniens (les "vugs"). Les titaniens, grands vainqueurs, avaient alors prit pouvoir politique sur Terre, instaurant une nouvelle discipline sociale, le jeu.
Il est également à noter, pour mieux comprendre la suite, que les terriens, durant la guerre, s'étaient condamnés eux-mêmes suite à des explosions ayant fait retomber des radiations rendant la population quasi stérile. Ainsi, avoir des enfants ("avoir de la chance" comme disent les personnages) fait parti intégrante du jeu instauré par les vugs.
Le Géant propose ici une analogie de notre monde, il faut préciser que l'auteur venait tout juste de sortir de sa période de "paranoïa" politique, période durant laquelle il fut suivit par le FBI et la CIA pour ses écrits et ses convictions, il est donc normal que nous puissions y voir une certaine critique de son gouvernement à travers les simulacres de l'histoire. Les vugs seraient alors un gouvernement violent, jouant et contrôlant la population dans les fins de conserver son pouvoir, et c'est ce que Pete Garden et ses amis vont vite comprendre, le jeu est un moyen de donner l'illusion d'une forme de pouvoir aux terriens qui, ainsi, n'en demanderont pas plus. Les vugs eux-mêmes sont alors des joueurs, pariant sur des échelles supérieurs à celles des Possédants, créant ainsi les paramètres de jeu et se forçant à respecter les règles qu'ils ont établies aux terriens et aux titaniens comme seule vérité juridique et morale.
Le contrôle de la société terrienne leur appartient, et les naissances, aussi rare soient-elles leurs apparaissent comme un coup de chance qui ne leur sert pas, ils ne veulent pas que leurs ennemis aient de la chance, de peur qu'ils en aient également au Bluff, auquel cas, ils pourraient perdre le pouvoir sur leurs propres règles.
Si Pete Garden n'a pour but au début que de récupérer son bien, Berkeley, racheté par Jérôme "Lucky" Luckman, l'homme le plus chanceux du monde en terme de natalité, il va très vite être amené à se concentrer sur d'autres choses, en tirant un 3, il a gagné une nouvelle épouse et il se trouve qu'il va "avoir de la chance" avec celle-ci.
La schizophrénie est au rendez-vous, perdu entre les délires hallucinogènes issus des drogues sur le cerveau du héros et le constant changement de réalité s'opérant entre le monde tel que Pete le connaît, celui qu'il ne connaît pas qui est tout aussi réel, et les simulacres qui étaient sa réalité première avant qu'il ne se rende compte que ce n'était que des matrices créant un équilibre entre l'univers de Titan et celui de la Terre à la manière de la "Semi-Vie" dans Ubik, vous ne pouvez être qu'absorber à la lecture de ces pages. Une fois de plus, Philip K. Dick nous envoi dans un monde n'existant qu'en lui, qu'il nous invite à trouver en nous, cet homme n'était pas fou, il était génial.
Ce roman est le parfait exemple de ses théories scientifiques et métaphysiques mélangées avec sa vision des politiciens, du conditionnement social (qui au passage est, aujourd'hui, le même que celui qu'il imaginait il y a quarante - cinquante ans dans ses livres) et surtout de sa vision de la société du futur depuis son époque.
Encore une fois, le Géant, Philip K. Dick, nous offre un bijou de science-fiction, reprenant ses codes habituels, nous entraîne dans un monde ou les pensées se mêlent aux rêves et à la réalité, avec des réflexions proches de celles de Ubik ou du Maître du Haut Château, greffées à une satyre socio-politique qui a plutôt bien anticipée notre société avec trente ans d'avance ; ajoutez à cela une histoire passionnante aux allures de course poursuite schizoïde et policière, et vous obtenez un putain de chef-d'oeuvre signé Philip K. Dick.
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