Notes diverses sur impressions datée
"Les nuits blanches" sont en tout et pour tout une nouvelle romantique, un de ces poèmes petersbourgeois dont Dostoievski seul sait le secret.
C'est à la fois le rêve de la ville nue, vidée de la foule, l'élégie de la nuit, les rencontres magiques, simples et les épanchements de coeur sincère, à proximité de l'âme de toute personne un tantinet fleur bleue.
Ainsi, tous des thèmes si cher à l'univers-île de l'homme romantique, homme enfermé dans un monde intérieur, magique, sublimé.
On y voit la description du sublime romantique, la vie, rêvée ,et ses désavantages: la vie , une fois rêvée, et non réalisée, n'est plus vivable, elle renferme sur soi, soumet l'Autre à sa volonté tyrannique.
La vie romantique n'est qu'un solipsisme.
Les nuits blanches sont ici le seuil d'entrée d'un rêve éveillé pour le personnage principal, qui se souvient d'une rencontre comme celle des romans, où il avait pu s'ouvrir si tant et si bien à l'autre, dont il était le miroir.
Si comme la plupart on sent à la lecture une attirance vers cet univers transcendé, on est malgré tout et surtout si on a lu Dostoievski et la plupart des romanciers du XIXème, on semble déjà savoir comment la chose va se finir.
Pire, on y voit une aventure simple, toute dépeinte mais pas de réalité propre, une succession d'introversions extériorisée par un homme ineffable et pourtant somme toute, comme il le dit, un "type".
Mais n'est-ce pas là d'où tient le romantisme, cette part de soi qui est si simple et qui pense mériter de la vie un traitement noble et heureux, une vie marquée d'expérience merveilleuse sans avoir à lever le petit doigt?
La forme de pensée intérieure choisie pour la narration par Dostoievski redouble la puissance des discours de cet homme qui prend possession de nous, son romantisme est sublime, le romantisme est sublime parce qu'il prend la beauté dans tout ce qui est, il veut le monde entier dans une ivresse qu'il ressent au centuple de la sensation d'être au quotidien, qui lui donne le vertige de la vie, et de ce point de vue d'autant plus parce qu'il est un homme simple. Il y a du rêve entièrement dans les "nuits blanches", et Anastassia "Nastenka" rêve d'un ami pour la réconforter, l'accompagner lorsqu'elle doute. Les personnages arrivent à point nommé, si facilement, dans une narration qui abreuve l'âme d'espoir.
Mais Dostoievski est un homme qui sait que de la vie, le romantisme ne tire qu'une image, si puissante qu'elle tire du monde toute sa beauté, mais qui en retire toute la réalité. Le monde romantique est d'essence apollinienne, mais le monde romanesque est d'essence dionysiaque: le plaisir de la lecture est romantique, mais l'écriture est un débordement de vie, un partage, une ouverture à l'Autre. Les bons romanciers sont des hommes qui observent et donnent sur le monde une vision réaliste, ce qui fait du XIXème siècle, le siècle du réalisme et du roman. Il s'agit d'une leçon sur la vie, l'appréciation du tragique destin de l'homme, son impossibilité d'être un dieu ou un héros, la compréhension de ses prétentions à l'être.
Les nuits blanches est un roman qui peut laisser indifférent car il est trop simple, son propos étant déformé par la beauté romantique dont il se moque, cette Idée du monde qui n'est pas le monde. Mais l'écrivain russe du sublime, de ce sentiment si chrétien de la contradiction, de la confusion entre la souffrance et la jouissance, si romantique, Dostoievski écrit un poème sur une ambiance, dont les personnages sont le coeur mais dont l'enveloppe est St Petersbourg et ses nuits, ses rues et le sentiment de solitude de la modernité, transcendé.
Il arrive loin après une bonne partie de l'oeuvre de Dostoievski en qualité et en profusion, et sa taille représente à peu près son rôle anecdotique dans le maelstrom littéraire du bon Dosto. Bonne lecture cependant.