Même si SC n’est pas le parangon des indicateurs de la culture en France (ça se saurait), le faible nombre de notes est quand même surprenant en comparaison des milliers récoltées pour « Le joueur d’Echecs » ou pour « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », pour ne citer que ces deux-là. Car « Les prodiges de la vie » en vaut bien d’autres du même auteur. Il est même à bien des égards plus intéressant.


Ambiance lourde : 16ème siècle, Anvers à la veille des autodafés protestants dirigés contre les catholiques, la jeune juive Esther pose volontairement pour un vieux peintre catholique, extatique mais en manque d’inspiration, chargé de réaliser le portrait d’une Vierge à l’Enfant. Contexte de fortes tensions intercommunautaires donc, qui finira en une forme de Terreur, le Beeldenstorm , dont Zweig donnera un aperçu à la fin de la nouvelle (littéralement la Furie iconoclaste, déclenchée dans les Flandres en 1566 par les calvinistes, ciblant églises catholiques et monastères, démolissant toutes formes de représentations, statues, peintures, icônes , sans hésiter à démolir physiquement les réfractaires .. Philippe II rétablira le calme à grands coups de schlague, mais ceci est une autre histoire).


Le motif principal, en ut majeur : fondamentalement Zweig interroge les mécanismes de la création artistique. C’est le cœur. Qu’est-ce que l’inspiration ? Pourquoi le geste ne vient-il pas ? Et lorsqu’il finit par arriver, est-ce dû à un élan mystique ou l’artiste conserve-t-il son autonomie critique ? Au moment de la fulgurance créatrice l’artiste s’élève-t-il à l’égal de Dieu ou bien demeure-t-il un vassal devant remercier pour ce don ? Et l’acte de création est-il un acte de résistance (ici face au Beeldenstorm) ? Zweig ne prétend pas répondre (qui le pourrait ?) mais développe ce qu’il voit avec un bel empirisme, selon différents angles de vision : celui du créateur (le peintre), du modèle (Esther, la jeune juive en laquelle le vieux catholique trouvera son improbable inspiration) et du sujet à peindre (le christianisme). « Les prodiges de la vie » sont les miracles qui rendent l’acte de création possible.


Les motifs secondaires, en ut mineur : l’éveil à la maternité d’Esther (un acte de création en devenir ? un des « prodiges » ?) puis le besoin de maternité jusqu’à la folie - comme une folie créatrice (je ne suis pas sûr des intentions de Zweig ici, ni du lien qu’il aurait voulu faire avec la création artistique, mais c’est ainsi que je l’analyse) ; la difficile coexistence des religions dépeinte par la judéité d’une Esther qui hait les chrétiens mais aussi par le Beeldenstorm qui la détruira au sens propre comme il détruira au sens propre l’œuvre d’art de la Vierge à l’Enfant.


Des motifs ambitieux.


Pour finir, Zweig nous offre ici une écriture serrée, forgée dans un matériau riche en alliage, et complexe dans sa composition. C’est la garantie de possibilités de relecture et de nouvelles explorations. Bref, vous l’aurez compris, je vous le conseille ;)

-Valmont-
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le 8 nov. 2018

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