C’est drôle, Maurice Pons, Les saisons, j’imaginais avec ces quelques indices surannés un livre se déroulant dans des maisons bourgeoises en province, l’ennui des années 50, les jupes à carreaux, les travaux des champs, le tic tac de l’horloge. Oh bien sûr, à le voir de temps en temps dans des Top par ci par là, à voir les 4 notes de mes éclaireurs l’ayant lu (parmi les plus exigeants, de surcroît) et en apprenant son statut de livre culte, livre caché, livre maudit, j’aurais dû soupçonner quelque chose. Mais ça ? Non, ça c’est difficilement soupçonnable dans la France de 1965. Un tel ovni, un tel magma, une telle blessure à vif et purulente se cachant derrière ces quatre mots là ? Non.
Imaginez un peu un tableau de Bosch raconté par Kafka, ou un SatanTango trash dans les montagnes. Ou votre pire cauchemar, ça marchera aussi. Ni livre fantastique, ni conte initiatique, ni science fiction, cette histoire d’un autre âge (un jeune homme arrivant en étranger dans un village oublié et apocalyptique où il pleut plus de 15 mois dans l’année, avant le début d’un hiver qui dure 40 mois) vous plante ses griffes sans crier gare en pleine chair, comme un animal échappé de l’enfer. Sans grands effets de manche, Pons nous plonge dans un bourbier inextricable, fait de purin, de sang, de putréfaction, de gel, et l’on assiste, à la fois effrayé et subjugué à la descente aux enfers de Simeon, apprenti écrivain qui va sombrer petit à petit dans ce néant tonitruant.
Le vrai tour de force du roman est l’étrange relation qui se noue entre le lecteur et le héros maltraité. Comme si on se prenait presque à jouir, voyeur coupable et complice, de la lente dissolution, à la fois morale et physique, de cet étranger perdu dans ce bourbier, incapable d’en sortir, incapable de s’en sortir. Moins il arrive à devenir écrivain, et plus il se transforme en personnage, moins il écrit son livre et plus le livre que l’on tient entre les mains se referme sur sa figure de marionnette désarticulée, comme pour notre bon, notre mauvais, plaisir. Jusqu’à la fin formidable, paroxystique, inévitable, que l’auteur retors nous laisse presque deviner quelques lignes avant de l’écrire, dernier clin d’œil peut-être pour nous dire : tout ça c’est vous lecteur avide qui l’avez voulu, c’est vous qui l’avez créé.