Les Saisons
8.1
Les Saisons

livre de Maurice Pons (1965)

C’est drôle, Maurice Pons, Les saisons, j’imaginais avec ces quelques indices surannés un livre se déroulant dans des maisons bourgeoises en province, l’ennui des années 50, les jupes à carreaux, les travaux des champs, le tic tac de l’horloge. Oh bien sûr, à le voir de temps en temps dans des Top par ci par là, à voir les 4 notes de mes éclaireurs l’ayant lu (parmi les plus exigeants, de surcroît) et en apprenant son statut de livre culte, livre caché, livre maudit, j’aurais dû soupçonner quelque chose. Mais ça ? Non, ça c’est difficilement soupçonnable dans la France de 1965. Un tel ovni, un tel magma, une telle blessure à vif et purulente se cachant derrière ces quatre mots là ? Non.


Imaginez un peu un tableau de Bosch raconté par Kafka, ou un SatanTango trash dans les montagnes. Ou votre pire cauchemar, ça marchera aussi. Ni livre fantastique, ni conte initiatique, ni science fiction, cette histoire d’un autre âge (un jeune homme arrivant en étranger dans un village oublié et apocalyptique où il pleut plus de 15 mois dans l’année, avant le début d’un hiver qui dure 40 mois) vous plante ses griffes sans crier gare en pleine chair, comme un animal échappé de l’enfer. Sans grands effets de manche, Pons nous plonge dans un bourbier inextricable, fait de purin, de sang, de putréfaction, de gel, et l’on assiste, à la fois effrayé et subjugué à la descente aux enfers de Simeon, apprenti écrivain qui va sombrer petit à petit dans ce néant tonitruant.


Le vrai tour de force du roman est l’étrange relation qui se noue entre le lecteur et le héros maltraité. Comme si on se prenait presque à jouir, voyeur coupable et complice, de la lente dissolution, à la fois morale et physique, de cet étranger perdu dans ce bourbier, incapable d’en sortir, incapable de s’en sortir. Moins il arrive à devenir écrivain, et plus il se transforme en personnage, moins il écrit son livre et plus le livre que l’on tient entre les mains se referme sur sa figure de marionnette désarticulée, comme pour notre bon, notre mauvais, plaisir. Jusqu’à la fin formidable, paroxystique, inévitable, que l’auteur retors nous laisse presque deviner quelques lignes avant de l’écrire, dernier clin d’œil peut-être pour nous dire : tout ça c’est vous lecteur avide qui l’avez voulu, c’est vous qui l’avez créé.

Chaiev
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste On the row (2016)

Créée

le 10 févr. 2016

Critique lue 2.6K fois

35 j'aime

6 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

35
6

D'autres avis sur Les Saisons

Les Saisons
LongJaneSilver
8

Critique de Les Saisons par LongJaneSilver

Siméon cherche désespérément un endroit pour abriter son matériel d’écrivain (joli papier, beau crayon, idées à la pelle et besoin de partager ses mots, sa culture, sa souffrance, son être). Quand il...

le 10 févr. 2016

16 j'aime

3

Les Saisons
MarianneL
8

L’écriture pour magnifier un monde atroce et grotesque.

«Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait là-bas : la saison pourrie.» Sous des stries ininterrompues d’une pluie drue, Siméon, un étranger échappé des...

le 21 févr. 2013

13 j'aime

2

Les Saisons
villou
10

Si je devais en garder qu'un !!!

Ce serait celui là. J'ai du le lire au moins 20 fois. Toujours avec le même bonheur intact, cet enthousiasme qui va réellement à contre courant de la réalité de l'histoire. Cet univers, glauque,...

le 19 nov. 2010

8 j'aime

1

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

287 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

270 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74