Après un recueil de nouvelles sympathique bien qu’inégal (Attention, Dieu méchant) et ses mémoires (Les Lamentations du prépuce), Shalom Auslander nous revient avec son premier roman : L’espoir, cette tragédie.
Solomon Kugel, sa femme Bree et leur jeune fils Jonas, tous juifs non pratiquants, s’installent dans leur nouvelle maison à la campagne. Très vite des bruits incessants semblant venir du grenier dès la nuit tombée et une odeur nauséabonde s’échappant des conduits d’aération forcent Kugel à se rendre sous les combles afin de découvrir l’origine de ces désagréments. Et quelle n’est pas sa surprise d’y découvrir, retranchée derrière un mur de cartons, couchée sur une pile de vieilles couvertures, la machine à écrire à portée de main… Anne Frank ! Et le symbole martyr ne veut pas virer ses guêtres de là, oh que non. Elle planche sur un nouveau livre, qui pour sur, devra surpasser son célèbre Journal.
De ce point de départ pour le moins original, s’ensuivent divers tourments pour notre brave Solomon qui, peu emballé par la présence de la rescapée (devenue vieille, acariâtre et rappelant sans cesse qu’avoir vendu « 32 millions d’exemplaires du journal, ce n’est pas rien ! » ) se voit tout de même mal la mettre à la rue de peur du qu’en dira-t-on. Imaginez un peu : une survivante des camps de la mort jetée à la rue par un juif ! Il finit le boulot des nazis ! Effectivement, ça ne se fait pas se dit Solomon. La tuer alors ? L'idée l'effleure... Puis il le dit lui-même "6 millions et il fallait qu'elle s'en sorte !" (vous êtes prévenus : réfractaires à l'humour noir s'abstenir)
Et si seulement Anne Frank était le seul problème de Kugel… Car il héberge sa mère, mourante d’après les médecins, mais qui prend tout / trop son temps pour passer l’arme à gauche… Cette mère qui, bien que née à Brooklyn en 1945 n’a eu de cesse depuis la naissance de Solomon de lui rappeler ô combien elle et toute sa famille ont pu souffrir de la Shoah, prétendant même que tout ce qui reste de sa mère et une… savonnette… Inutile de préciser qu’elle n’a jamais connu les horreurs des camps de concentration mais préfère tout de même se préparer pour un nouveau génocide, qui elle en est sure, ne va pas tarder à arriver.
Ceux qui ont lu Les Lamentations du Prépuce ne pourront pas ne pas remarquer que l’écrivain s’est pas mal inspiré de sa vie pour le personnage de Solomon, celui de sa femme et de sa mère aussi. Toujours un peu d’autobiographie qui suinte entre les lignes et des choses qui ont besoin de sortir. Sous un aspect léger de par son synopsis et l’écriture énergique, rythmée d’Auslander, ce livre se révèle assez profond, réfléchi et irrévérencieux.
Car ne nous le cachons pas : si Shalom Auslander n’était pas juif lui-même, il se ferait surement vite taxer d’antisémite (ce qui de nos jours grâce au climat de politiquement correct que l’on s’impose arrive plus vite qu’un chat après l’ouverture d’une boite de thon).
A travers le personnage de la mère, il se moque sans vergogne de ces juifs qui, alors qu’ils ne l’ont pas connu, vous servent le génocide juif à toutes les sauces, se complaisent dans une douleur non vécue et cautionnent une espèce « d’échelle de la souffrance ». Pour la mère de Solomon, le génocide arménien n’en est pas un, il n’y a eu « que » 1,5 millions de morts… « On en reparle à 3 millions au moins ! ».
A travers le personnage de l’ancien propriétaire de la maison Kugel, un américain d’origine allemande, Auslander déplore qu’après la guerre, et encore aujourd’hui, certains continuent d’expier des fautes qu’eux-mêmes n’ont pas commises, qui ne sont pas les leurs mais pour lesquelles ils ressentent de la culpabilité.
Culpabilité que ressentent certains juifs pour n’avoir PAS connu cet holocauste qui a ravagé leurs familles. « Eux ont tant souffert et nous pas : repentons-nous ».
Et plus que les juifs, Auslander souligne un trait commun à tous le genre humain : on l’aime notre malheur. Allez dire aux gens que l’on vit tout de même mieux aujourd’hui qu’il y a 70, 100 ou 500 ans… Plutôt que de confirmer vos propos, ils ne feront que vous débiter inlassablement ce qui ne va pas. Donnez-leur le paradis, ils en feront un enfer en une semaine…
Bijou d’humour noir et grinçant, rempli de phrases ou de formules à se tordre de rire (se référer à mon titre), proposant sous une forme très agréable à lire une réflexion acerbe sur sa propre communauté, L’espoir, cette tragédie n’a pas déçu mes attentes et me fait juste regretter une chose : que Shalom Auslander ne soit pas plus réputé.
Vraiment, lisez-le.
Ça fait du bien.