Léviathan faisait partie de cette catégorie d'ouvrages dont j'appréhendais la lecture: peu ou prou 1000 pages dans sa version Folio essais, et quelques extraits qui mis bout à bout, suffisaient à résumer la philosophie de Hobbes je me demandais si cela valait bien la peine d'y accorder du crédit.
Après lecture complète de ce pilier, je dois dire que je me dois de réviser mon jugement : ce texte mérite bien toute sa place de "classique " de la philosophie politique.
L'ouvrage se structure en quatre passages; l'Homme, l'Etat, l'Etat chrétien et le Royaume des Ténèbres.
Et les quatre parties valent le coup d'être lues même si je suis conscient que les deux dernières sont, beaucoup plus ancrée dans la réalité de Hobbes (1651) que la nôtre.
Dans sa première partie, Hobbes essaie d'établir, en repartant du travail déjà fait pour son ouvrage "du citoyen" la nature de l'être humain et aboutit à ses célèbres conclusions sur le fait que l'Homme cherche avant tout sa propre conservation, que celle-ci s'accompagne d'un droit de principe sur toute chose qu'il peut s'approprier pour ce dessin et que la seule loi de la nature est de ne pas faire à autrui ce que l'on ne souhaite pas qu'il nous soit fait à nous même. Ce positionnement est essentiel parce que cela fonde l'idée encore vitale aujourd'hui que ce qui prime chez l'Homme dans un état de nature, ce serait un droit - sur toute chose- et non un devoir.
La deuxième partie sur l'Etat contient l'essentiel de la doctrine ayant rendu Léviathan célèbre, à savoir le contrat fondateur permettant de sortir de l'état de nature précaire, lequel découle du fait que chacun vise à sa propre conservation et que sa raison va le conduire à conclure ce pacte social qui crée l'État et à se remettre entièrement à la volonté du souverain - qu'il s'agisse d'une assemblée ou d'un seul. Hobbes a clairement une préférence pour la solution avec un monarque, mais sa priorité n'est pas là : ce qui importe c'est la stabilité institutionnelle et l'indivision du souverain.
Ce pacte fondateur et le pouvoir du souverain Hobbes le fonde sur la force armée - estimant que la loi sans la force pour assurer sa mise en oeuvre n'est rien.
C'est donc un souverain absolu, avec tous les droits et la force pour les mettre en oeuvre, que Hobbes appelle de ses vœux, dans le cadre d'un Etat donné. Tout ce qui est légal est supposé juste dans son hypothèse- puisque le juste est le produit du souverain, et que tant qu'il n'y a pas de souverain, il n'y a pas de justice. Cet souverain, cet Etat terrible et puissant - et mortel, Hobbes dédie tout un chapitre aux caises de la mort des Etats - c'est lui auquel Hobbes va donner le nom de Léviathan en référence à une créature biblique du livre de Job.
La troisième partie se consacre aux fondements dans les Écritures bibliques de la pensée de Hobbes - il ne peut faire moins ayant l'ambition non dissimulée de faire remplacer les doctrines scolastiques des universités par ses propres productions. Même si l'enjeu peut paraître daté, sa justification par la Bible de la prééminence du pouvoir civil sur le pouvoir spirituel et de l'absence de fondements à tout pouvoir spirituel d'ailleurs est d'une grande netteté. Mention spéciale pour son chapitre 42 dans lequel il débat notamment des prérogatives ecclésiastiques en s'attachant à réfuter le cardinal Robert Bellarmin présenté en champion de la justification de la suprématie pontificale par les Écritures.
Le quatrième chapitre enfin traite des trois fondements des prétentions de la papauté à la gouvernance universelle - interprétation erronée de certains passages bibliques, reprise de la "démonologie " païenne et philosophie de "l'Aristotélité" c'est-à-dire la synthèse entre les ouvrages d'Aristote et le Christianisme opéré par les Universités scolastiques depuis Saint Thomas d'Aquin, avec une note finale féroce comparant l'Eglise catholique au Royaume des Fées.
Alors oui, Léviathan est long et les enjeux des troisièmes et quatrièmes parties de l'ouvrage peuvent nous sembler moins actuels, mais le texte a remarquablement bien vieilli et fonde effectivement, après la République de Platon, la base de la réflexion politique qui est encore la nôtre. Léviathan est donc bien un monstre sacré.