Je préfère Snoopy mais ça reste bien

C'est bon. Me voilà au-dessus de la plèbe étudiante qui croit citer le philosophe et tout y comprendre en répétant que "l'homme est un loup pour l'homme".
Hélas, contrairement à ce que mes profs ont pu dire, la phrase n'est pas dans le livre. Ce qui prouve que personne ne le lit vraiment.

Et pourtant il est captivant. Dès lors qu'on aime la philosophie géométrique, qui part d'axiomes (qui sont l'originalité de toute théorie) pour arriver rigoureusement à des conclusions solides, dès lors qu'on se trouve amusé par les réflexions logiques, intéressées ou non, le livre est une merveille.
De plus, la vision assez simpliste qu'on nous inculque de la pensée de Hobbes est bien plus profonde que son simple résumé sans cesse psalmodié : "on a peur donc on obéit bêtement à l'Etat pour être protégé". Il y a entre autres quelques passages très cocasses sur la justification du délit dès que le rapport entre risque et bénéfice penche en faveur du second, ou si le danger y pousse. On s'amuse aussi de ces délicieuses piques contre la démocratie, les universitaires sclérosés (qui le sont autant à notre époque qu'à la sienne), les illusions de liberté et d'individualisme qui justifient la bêtise et le chaos actuels.

Et si nous sommes bons élèves, il convient de voir comment cette nouvelle paire de lunettes qu'est le Léviathan (un grand livre de philosophie est toujours une paire de lunettes sur ceux qui y sont sensibles, donc nul blasphème ici, ni envers Lui ni envers les fans de Final fantasy) nous aide à mieux y voir autour de nous. Je vais donc m'y essayer.

La crise actuelle et ma position d'antipass m'ont souvent amené à entendre cet argument que la privation de liberté imposée par les décisions politiques n'est pas un mal, puisque justement la loi ne fait que restreindre des libertés pour garantir plus de sécurité. Sans lire Hobbes on serait tenté de croire qu'on se trouve en plein dans sa pensée.
Je pense pourtant que celle-ci peut au contraire justifier la position des sceptiques de notre époque.

La théorie première de l'état de nature repose sur deux principes : on a le DROIT de faire tout ce que est physiquement possible par nature, mais plus subtil et éludé lorsqu'on parle du Léviathan, à condition de toujours respecter en priorité respecter le DEVOIR de nature, qui s'énonce en disant qu'il est absolument interdit de faire quelque chose qui nous mette en danger physique.
Si certaines personnes (dont je ne fais pas partie mais que je défends) ont peur d'un vaccin plus que de sa maladie, que la peur soit légitime ou non, elles sont tout à fait dans leur droit de nature lorsqu'elles refusent celui-là et choisissent de s'élever contre le souverain, car au pire, elles s'exposent à un blâme mais évitent la roulette russe.

Pour poursuivre le parallèle avec la crise, le conseil éclairé de Hobbes de ne pas croire l'avis d'un expert autrement que lorsqu'il se concerte en privé avec le souverain est d'or, et son non respect actuel entraîne une défiance naturelle contre l'information, même portée par l'autorité scientifique. Les experts ne sont pas consultés individuellement mais mêlés à la politique par congrès, et l'avis d'un seul plus éloquent et intéressé peut facilement absorber les conclusions partielles d'autres qui seraient plus nuancés, voire en désaccord, par des études aussi sérieuses dans leur champ de compétences. Le simple fait qu'il y ait des scientifiques reconnus opposés au consensus démontre qu'une opinion n'est jamais gage d'intelligence ou de compétence. Comme Hobbes le dit lui-même, s'il est vrai que la somme des angles d'un triangle vaut deux droits, ceci n'est pas tant à cause de la rigueur des mathématiques que par le fait que cette vérité n'interfère en aucune façon avec la politique. Si ce fait dérangeait le souverain, il serait totalement dans son droit de censurer tout ouvrage évoquant le théorème qui alors deviendrait faux, bien qu'il en existera toujours une démonstration totalement irréfutable permettant de convaincre n'importe qui.
Dès que la science est politisée comme elle l'est actuellement, il est légitime de douter, et plutôt que de traiter d'idiots les sceptiques, il serait bon de les comprendre et éventuellement les convaincre par des arguments rigoureux, ou de simplement les laisser vivre, plutôt que de profiter de l'occasion pour scinder le peuple en deux sortes : les idiots dits complotistes et l'élite qui n'a eu qu'à se faire piquer pour se targuer d'une intelligence supérieure.

Cet aparté est une raison suffisante de lire le livre, car il montre que sa réflexion, ayant été menée par souci de résoudre un problème situationnel et politique (la manière de conduire un État afin d'éviter une nouvelle guerre civile, un nouveau Béhémoth), et bien qu'abstraite et géométrique, résiste donc par construction à l'épreuve du concret. C'est pourquoi elle peut aussi bien trouver son sens dans l'interprétation des situations particulières de chaque Etat à chaque époque, et de fait permettre à chacun d'affiner son interprétation de sa propre situation par rapport à l'autorité, afin de savoir s'il est légitime de s'y soumettre (ce qui est le cas lorsqu'elle garantit notre protection) ou de s'y opposer (ce qui est donc le cas lorsqu'elle s'oppose au devoir de nature).

On regrettera juste que Calvin soit effacé et renommé Moïse, et que Hobbes ne soit plus un tigre mais une repompe du dragon béant de Dark souls.