Un malentendu tenace tient à faire de Thomas Hardy un des romanciers les plus désespérant de la fin du XIXe, mais c’est qu’un malentendu tenace continue de faire croire qu’il n’a écrit que deux livres, Tess d’Uberville et Jude l’obscur. C’est vrai qu’en refermant ces deux livres - qui datent de la toute fin de sa carrière de romancier - on est tellement sous le choc que malgré l’adage qui va chantant « jamais deux sans trois » on se voit mal repartir de sitôt dans de si cruels méandres, de si noirs destins. Erreur, funeste erreur, que ce bon Thomas lui-même regrettait, lui qui se défendait d’être un auteur pessimiste. Bon, ça c’est à voir…
Toujours est-il qu’avant de se laisser aller, Hardy a écrit beaucoup de romans aujourd’hui délaissés, et tous sont plus joyeux les uns que les autres. A croire que la postérité est masochiste, et n’aime que les histoires qui finissent mal. Dommage, c’est se refuser un plaisir de roi, car Hardy reprend le flambeau de Jane Austen - le marivaudage campagnard - avec une verve et un talent peu commun.
Son gros roman, si joliment nommé, tresse le destin de quatre personnages qu’on suit tour à tour, sans jamais se lasser de lire comme à livre ouvert dans leurs cerveaux troublés par la difficulté d’aimer. Il y a le sage berger Oak, le glaçant fermier Boldwood, le désinvolte sergent Troy, et au milieu de ce triangle masculin la formidable Batsheba Everdeen, jeune héritière qui entend mener sa vie sans l’aide de personne. Hardy s’amuse à les suivre à travers les champs, les moissons, dans les tavernes et les foires, à l’église comme au cimetière, avec une passion et un entrain communicatifs. Sa phrase est souple et légère, et sous le ton badin veille l’œil d’un psychologue à qui rien n’échappe. Aussi bon et ravigorant qu’un verre de cidre par une chaude journée de juillet dans le Wessex !