Vème siècle avant JC, un dramaturge grec écrit une pièce de théâtre dont le sujet va traverser les siècles, jusqu'à nos jours où la méthode décrite fait encore ses preuves. Lysistrata (par Aristophane) est l'histoire de cette belle et audacieuse athénienne qui, en pleine guerre du Péloponnèse, décida d'unir les femmes des deux cités en guerre : Sparte et Athènes, afin d'échanger avec leurs maris la paix contre leur satisfaction sexuelle et affective. La grêve de l'amour était née.
La première scène présentant Lysistrata et Calonice, une autre femme, nous montre deux images de la femme. L'une rationnelle et entreprenante, qui sort du cadre, l'autre conventionnelle et irrationnelle, qui d'abord semble surtout là pour servir l'humour absurde de la pièce. Aristophane joue délicieusement sur l'absurde comme sur l'obsène, et heureusement dans l'une des traductions françaises des annotations sont là pour nous informer de la connotation d'un mot en grec, permettant de saisir l'ampleur du rire qui pouvait être déclenché à l'époque de l'auteur.
Viennent ensuite diverses confrontations, lorsque les femmes grévistes s'emparent de la principale institution responsable du financement des guerres, nous permettant de saisir la perception que pouvait avoir la population à l'époque antique du genre opposé au sien. Ainsi, Lysistrata, être cultivé et doué de raison pour le lecteur (ou spectateur), créature perverse pour ceux des hommes qui s'attachent à vouloir défendre leur "honneur" dans la guerre, s'impose tout à la fois comme une leader et comme une diplomate.
La violence verbale est réciproque entre les différents antagonistes, l'auteur ne souhaitant pas idéaliser ses personnages, et la résistance physique est aussi de mise.
Il y a quelque chose d'absurde à l'époque, de présenter un personnage qui n'est pas un citoyen (les femmes étaient exclues de la citoyenneté comme les esclaves et les étrangers) en tant que dernier espoir pour la civilisation grecque de ne pas s'autodétruire. C'est que, pour Aristophane, la guerre en elle même est déjà absurde, de par ses conséquences.
De plus, les guerres, réservées aux hommes, se décidaient à la majorité.
Mettre en action une femme et une non-citoyenne avait ainsi quelque chose de provocateur, qui suscitait l'exclamation des citoyens dont Aristophane aimait critiquer les décisions.
Il serait toutefois exagéré de faire d'Aristophane un féministe avant l'heure ou même un pacifiste. Le dramaturge, qui se moquait aussi bien des femmes dans sa pièce la plus célèbre (L'assemblée des femmes), est surtout un satiriste plutôt lucide, décomposant les moeurs de son temps et en soulignant avec humour les incohérences.
Lysistrata est une oeuvre toujours d'actualité, précédant et anticipant des idéologies modernes (pacifisme, internationalisme) dont les partisans s'emparent parfois de la référence. La grêve de l'amour est toujours d'usage aujourd'hui, comme lors de conflits au Nigeria, au Liberia, ou en Colombie ces dernières décennies, avec un impact remarquable.