"J'étais possédée par un bonheur sauvage qui ne tenait compte que de lui-même, je grimpais sans haleter, sans fatigue, moi qui n'avais jamais fait plus de vingt pas en ligne droite, je volais le long des marches comme dans ces rêves que je ne fis que plus tard, mais dont j'avais entendu les femmes parler, où l'on s'envole, on plane comme les oiseaux que j'allais bientôt regarder se laisser porter par les courants, dériver sans effort, danser longtemps dans le crépuscule comme je dansais au long des marches, aérienne, flottant interminablement, ascension saoulante vers quelque chose d'inouï, en cet instant-là je ne savais pas quoi, le dehors, le monde qui n'était pas la cage, et je n'avais pas de pensées mais un ravissement profond qui m'emportait, et des images, peut-être, qui me traversaient l'esprit, ou seulement des mots qui gisaient en moi et se levaient pour recevoir les images imminentes, le ciel, la nuit, l'horizon, le soleil, le vent, d'autres encore, innombrables, accumulés depuis des années et qui se hâtaient, me poussaient en avant. Ah ! cette première fois où j'ai monté l'escalier !
(...)
Il y avait une autre cave identique à la nôtre. Ces deux évidences bouleversaient. Nous n'avions rien compris à ce qui nous était arrivé: parfois il nous semblait que notre découverte allait nous éclairer, parfois qu'elle rendait tout encore plus opaque. Aujourd'hui, je peux dire que, simplement, nous avions plongé plus avant dans l'insensé."