Jón Kalman Stefánsson est un auteur singulier et son roman autobiographique, Mon sous-marin jaune, ne pouvait être banal, à commencer par sa construction, tout sauf linéaire. Ce voyage dans le temps, notamment celui de l'enfance, est donc chaotique et cahoteuse, comme une balade en Trabant, la voiture du père, en cette Islande de la fin des années 60, au moment où la mère du narrateur s'éteint. C'est l'événement majeur du livre, celui qui induit le passage entre plusieurs strates de réalité, l'une réelle, si l'on ose dire, et les autres imaginaires et fantasmées. Outre l'Islande, entre Reykjavik, Keflavik et la province des Strandir, à partir des années 70, le roman nous transporte sans crier gare jusqu'au Moyen-Orient en l'an 33 ou même, plus loin encore dans le temps, en Mésopotamie. Le talent de l'auteur fait que l'on est parfois déboussolé mais jamais perdu tout à fait, même quand Dieu le père, lui même, à moins que ce ne soit le Démon, intervient comme personnage secondaire, buveur et colérique, à côté d'autres figures inattendues comme Johnny Cash, par exemple. Une mère disparaît et les Beatles se séparent : les deux drames se produisent à quelques mois d'intervalle et perturbent la vie d'un garçon islandais. Incapable de trouver une consolation auprès d'un père qui ne s'intéresse pas à lui, étonnez-vous que notre jeune héros se réfugie dans la chaleur du foyer d'un vieux couple et surtout dans des conversations hautes en couleurs avec des défunts ! Tissé de noir mais traversé de belles plages de tendresse, voire d'humour irrésistible, Mon sous-marin jaune est le livre d'un écrivain qui approche de la soixantaine, jamais remis d'un traumatisme d'enfance, mais qui a finalement trouvé l'équilibre et la sérénité. Au début du livre, de nos jours, le narrateur aperçoit Paul McCartney, son idole, dans un parc londonien. Il aurait bien quelques mots à lui dire mais ce ne sera pas avant 400 pages d'une aventure triste et extravagante à la fois, et qui s'appelle la vie.