Tout le monde a une idée de l’histoire d’Oedipe. Il a tué son père, épousé sa mère et inspiré Freud – et c’est le père d’Antigone, ce qui bien sûr suffit à justifier que chacun connaisse son nom. La plupart des gens en savent même un peu plus sans même avoir lu le livre : le premier oracle, l’abandon, le second oracle, la fuite, l’énigme du Sphinx. Œdipe a ceci de génial qu’il a su rester dans l’oralité deux-mille cinq-cents ans après avoir été figé pour la première fois.
On pourrait donc se demander pourquoi lire l’Œdipe de Sophocle qui a bien sûr par rapport à nombre de ses successeurs le défaut de ne rien apporter de nouveau pour le lecteur moderne. On n’aurait pas tort, et disons-le clairement, je ne passerais pas le livre au premier badaud. Le style, sans être lourd (enfin, c’est selon les traductions ; disons qu’il y a moins digeste), est ancien. C’est comme une fibule, c’est définitivement joli, mais ça ne va pas si bien par-dessus une moumoute synthétique.
Mais voilà, je suis une grande amie des capes et je n’attends que le retour de la toge à la mode : Œdipe Roi m’a plu par son ton et puis, bon, cette première expression du machiavélisme fatidique ou divin qui détermine la vie du roi aveugle. Et surtout, il y a les répliques du chœur, que je trouve extrêmement actuelles et vivantes. Il y a entre autres deux apostrophes aux dieux, particulièrement à Apollon (Phoebos) et à Zeus, l’une pleurant les oracles inaccomplis, qui mènent au désintérêt, à l’oubli et donc à la mort d’un dieu, l’autre chantant la terrible grandeur de ce même dieu qui finalement a dévoilé les chemins de sa parole.
J’aurais tellement voulu croire en ces dieux païens qui meurent des fois des hommes. Quelle fascinante responsabilité.
Cela dit, même si j’ai apprécié ma lecture, mon huit est généreux, il s’agit plus d’un sept et demi, mais sept me semblait vraiment injuste. Bien sûr, Sophocle est le premier à avoir écrit (ou à nous avoir laissé) un Œdipe, et le génie de son intrigue, même si elle est basée sur un ou plusieurs substrats préexistants, mériterait un neuf, mais il souffre ici de son succès. Comme je l’ai dit plus haut, le lecteur à ici affaire à une matière dont il connait déjà les tenants et aboutissants.
Diable. En fait, c’est un vrai crève-cœur d’avoir à choisir entre rendre à César ce qui appartient à César et lui dire que ses Gaules sont depuis longtemps dépassées. Ecrire cette critique me fait à nouveau hésiter entre mon huit et un neuf tout aussi mérité.
Tranchons : je n’ai pas envie de réécrire ce dernier paragraphe, huit c’était et huit ça restera.
Œdipe Roi, donc, ce n’est pas une révélation à lire absolument, ce sont des pépites pour qui est prêt à les chercher. Et elles valent le coup.