"Yegg" de Jack Black (1926) éd. Les Fondeurs de Briques
" Je quittai la salle d'audience, condamné à un an de prison, avec la sensation qu'on venait de me faire un cadeau de Noël; d'ailleurs, nous étions un 24 décembre. "
"Yegg, autoportrait d'un honorable hors-la-loi" est une autobiographie de Jack Black. Il y raconte sa vie de cambrioleur vagabond aux Etats-unis à la fin du XIXème et début du XXème siècles. L'oeuvre répond à sa description: on y retrouve en effet l'amérique vagabonde et souterraine de l'époque; les combines, l'argot, et la description du "milieu" des yeggs; ainsi que, plus généralement, cette soif de liberté, et la vie en marge qui en découle.
Pas de méprise non plus: Jack Black aime la littérature, mais n'a jamais prétendu être un (grand) écrivain pour autant!
Le récit commence d'ailleurs très mal: par une longueur [!]: comme narrant sa propre narration - exercice très délicat à la portée de très rares auteurs seulement - et s'enfonçant en plus dans le bourbier du vouvoiement direct du lecteur à coup de "je devine ce que vous pensez à ce moment-là" qui me refroidissent aussi sec. Tare que l'on retrouve plus tard, au chapître 19 par exemple: "vous feriez ceci sûrement, vous feriez comme ça, vous lecteur".
Le récit autobiographique suit l'ordre chronologique et prend un risque non-éludé: Quand le personnage tombe dans un engrenage et s'inscrit dans une boucle d'évènements, le récit l'accompagne et tourne en boucle à son tour, et la répetition ennuie vite. Voler, puis prendre du bon temps, finir par être fauché, donc voler, etc... Ou alors monter un coup, traîner dans les rades, la prison, apprendre un autre coup, etc...
Le chapitrage est construit autour des personnages rencontrés (Julia, Smiler, etc.), les étapes de ses (més)aventures (conventions, séjours en prison, etc.), ou les vols qu'il commet.
Enfin, de grandes descriptions des paysages sauvages traversés manquent cruellement à l'oeuvre.
Ceci étant dit, j'ai ressenti beaucoup de plaisir à découvrir ce livre. Il s'agit d'une autobiographie qui décrit un parcours initiatique, et Jack Black est un personnage très attachant. Au début, l'insouciance d'un enfant qui veut découvrir le monde, mélée à une admiration pour Jesse James et les bandits, m'a emporté; jusque, plus tard, les états d'âmes et la formulation des valeurs morales du personnage.
Fascinant comment l'auteur a pu garder en mémoire de tels détails de sa jeunesse. Nous parlions de soif de liberté, certes, mais le "héros" avance également au gré de ses envies: je veux devenir comme ce monsieur, je veux m'acheter ce costume, je veux voir la côte pacifique, etc... envies temporaires de petit garçon et changeantes au fil des évènements et des rencontres.
Je sauterai la question du "vrai vs vraissemblable" dans le récit autobiographique d'un criminel. Face à certaines infortunes, je me suis dit qu'il n'avait vraiment pas de bol, et à d'autres moments qu'il avait une chance inouïe. Ce dernier point est appuyé par l'étrange sensation que Jack Black paraissait protégé par une bonne étoile malgré tout: en effet, son initiation lui permet toujours d'apprendre les ficelles du cambriolage avant de commettre des erreurs fatales.
On vit avec Jack Black le goût de l'aventure, la découverte de nouvelles contrées, toujours de nouvelles rencontres, puis les "loisirs" - l'opium, les jeux, les putes (bien présentes mais dont il ne parle quasiment pas) - des vices de la vie en marge. Les villes sont vraiment toutes biens décrites (les différents repaires, les populations, etc). Certains cambriolages sont également vraiment bien détaillés. On y ressent le danger et la tension est palpable. Par contre, d'autres sont juste sommairement évoqués. Dommage.
Il me semble important de souligner une curiosité du récit. Un choix de narration est récurrent. Souvent, quand les routes de Jack Black et d'un comparse se séparent, il annonce alors ce qu'il adviendra de ce dernier (mort, retrouvailles, ou autre). Au premier abord, cela m'a dérangé. Dans une vie de yegg, on découvre que tout peut arriver à tout moment; le futur est entièrement ouvert au champs des possibles. Toutefois, ce procédé prend son sens dans la seconde partie de l'oeuvre, quand le "héros" commence à ressentir sa condition de yegg comme un choix de vie dont il ne peut se défaire, et qu'il doit vivre avec les conséquences qu'elle implique. Or, un yegg ne prend pas conscience, tout à coup, que son parcours est balisé d'avance. Cela vient à lui au fur et à mesure de sa vie. Ce procédé permet de transférer cette prise de conscience à l'expérience du lecteur.
Long est le temps de l'apprentissage. Jack Black se sent incapable d'agir à son compte dans le métier tant qu'il n'a pas suffisamment confiance en lui. Dès qu'il l'a, viennent avec les états d'âmes et les considérations d'ordre moral. Car l'auteur n'énonce pas, ni ne dicte de code de l'honneur de brigands/voleurs/cambrioleurs. Il parle de certains éléments, de certaines règles de conduite. Mais il n'en dresse pas une liste exhaustive.
Par contre, il n'hésite pas à faire part aux lecteurs de ses tourments, de ses jugements, de comment il différencie le "bon" voleur, du "mauvais" voleur. En toute subjectivité. Et là encore il est touchant. Toutes les ambigüités auxquelles il doit faire face (par exemple: avoir consience de causer du tort aux victimes, mais c'est sa profession et il s'efforce juste de l'exercer au mieux), et l'impression de s'être piégé lui-même (la tentation du voleur expérimenté: son oeil repère automatiquement les coups possibles autour de lui; il ne parvient plus à voir le monde autrement) le hantent de plus en plus.
Je n'en dirai pas plus, je n'en révèlerai pas plus.
Mais oui, ce qui frappe le plus dans cet ouvrage c'est la sincérité de l'auteur.
Les Fondeurs de Briques est une maison d'édition qui, à ma maigre connaissance, semble plus ou moins spécialisée dans les oeuvres ayant eu une influence dans l'histoire d'une culture ou une Histoire de la littérature. En l'occurence, "Yegg" de Jack Black sera cité par la Beat Generation. Notons, à ce titre, que la préface est signée William S. Burroughs. Même si celle-ci reste dispendable.
Je comprend parfaitement que "Yegg" soit considéré comme un livre culte, voire incontournable. En dehors de l'attrait du contexte paratextuel, et de la qualité d'écriture passable, il n'en demeure pas moins que j'ai pris un réel plaisir à dévorer ce roman.
(le 21/08/2016)