C'est assez curieux la vie de lecteur. Parfois, on s'engage dans une voie et au bout de quelques livres, quelques auteurs, on est arrivé au bout de la route. Et finalement, à ce terminus, on jette son dévolu sur un ouvrage qui fut l'une des influences majeures des précédents. C'est l'expérience dont je fus l'heureux sujet. Puisqu'il y a dix ans, j'avais découvert les récits immémoriaux de Jack Kerouac, William S. Burroughs et les bouleversements littéraires apportés par la beat generation. Et il y a peu, je me procurai enfin l'une de ses sources d'inspiration en m'intéressant à Jack Black.
Personne ne gagne. Étrange titre, qui a tout du constat amer tiré par celui qui a suffisamment vécu pour avoir vu ses illusions s'effriter les unes après les autres. Mais non, pour sentencieux qu'ils puissent paraître, ces trois mots prennent un sens doublement honnête. La parole d'un vagabond revenu des délits, de l'opium et des nuits dans le froid et la poisse. Et la sagesse d'une âme qui a suffisamment passé de temps des deux côtés des barreaux pour se faire une idée de la conduite à tenir pour ceux qui y vont, ceux qui en sortent et ceux qui n'y vont jamais.
Récit autobiographique d'un individu avide de liberté et de découverte, le roman se lit avec la joie d'un lecteur qui ne doute jamais de son narrateur. Parce que les mots sont simples, la structure linéaire (malgré quelques allers-retours dans le temps) et le rythme ne faiblit jamais.
Condenser une bonne partie de sa vie en 400 pages, c'était un beau défi, surtout quand il s'agit de sa première (et dernière) œuvre. Jack Black s'en tire à merveille, avec honnêteté et intelligence qui se retrouvent dans sa peinture du monde de la rue, du système judiciaire et évidemment des instituts pénitentiaires.
L'écriture est souple, les mots empesés, et les réflexions fascinent par leur clairvoyance. Personne ne gagne est un livre frais et enlevé, le témoignage important et toujours nécessaire dans un monde où les concepts de liberté, de justice et de justesse font place à une multitude d'interprétations, souvent à l'origine de certains maux qui sont tout aussi perceptibles aujourd'hui qu'il y a plus d'un siècle.
Il y a quelque chose de profondément poétique dans le destin de son auteur. Découvrir aujourd'hui l'histoire de ce glorieux vagabond à l'aune de ce qu'il est devenu, à savoir le père spirituel d'une génération elle-aussi désireuse de s'affranchir des codes, elle-même devenue source d'inspiration pour les suivantes. Et le plus beau, c'est que ce n'est probablement pas près de s'arrêter. Et que quelle que soit la route empruntée pour les amoureux de cette littérature, elle passera forcément par Jack Black.