Lettre à de jeunes poètes.
En 1916, Pierre Louÿs a arrêté de publier depuis longtemps, même son Archipel de 1906 n'est qu'un recueil d'articles déjà édités, au demeurant formidable. Pourtant, cette vingtaine de pages minuscules lui aura pris plus de quatre cents heures, deux fois plus, par exemple que la Femme et le pantin qui fit beaucoup pour sa fortune (et pour sa décision d'arrêter de publier, aussi...).
En 2001 sort une nouvelle édition de cette oeuvre majeure, peut-être ce qu'il écrira de plus important avec le Pervigilium Mortis. Une préface superbe de Jean-Paul Goujon, spécialiste incontesté de l'auteur, et au demeurant, personnage sympathique en diable et truculent trublion érotomane, nous met la bave aux lettres avant d'attaquer le gros de l'oeuvre : dix petits chapitres de conseils pour ceux qui veulent écrire, de la poésie, mais aussi de la prose, et de la musique. Une théorie ? Pas du tout, son exact contraire, un chant d'amour pour le verbe, le rythme et la beauté.
Pierre Louÿs qui n'était pas seulement la plus belle plume de son temps, était aussi un de ses meilleurs lecteurs, érudit amoureux qui nous offre ici le fruit d'un travail acharné. A quarante-six ans et avec l'âme du jeune homme de dix-sept ans qu'il a pu être (je vous recommande en passant ses journaux intimes de l'époque), l'élève de Mallarmé, le fils sans père, le double gendre de Hérédia, fait don de ce qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui, ni déjà en son temps d'ailleurs : de la rigueur, de la beauté, de l'exigence, de l'intransigeance aussi, et l'idolâtrie de ce que plus personne ne conçoit, la poésie.
Trente pages d'annexes complèteront utilement cette somme, avec des lettres aux amis, à Paul Valéry, à George Louis aussi, son frère/père, où à chaque fois ressort la joie de l'amoureux des lettres et la perfection du choix des mots, comme lorsqu'il avoue abandonner à un moment le mot le plus juste, sachant que sa force, trop grande, viendrait détruire l'ensemble de l'ouvrage.
Pierre Louÿs a été empêché tellement souvent d'achever ses oeuvres majeures que, pour une fois qu'il en termine une, il serait du dernier mauvais ton de s'inviter à passer outre.
Ecrivains, musiciens, poètes, analphabètes, lecteurs de tous pays, jetez au plus vite toutes ces choses inutiles que vos doigts gourds tiennent misérablement en un équilibre instable et foncez vous procurer la quintessence du dernier génie du siècle.
Ne négligez ni préface ni appendice, la valeur de la merveille est aussi à ce prix.