Oui oui on l'aura compris, ce livre est dur à lire. Tout le monde le dit, même les quelques émissions littéraires qui se sont jetées dessus comme des corbeaux zombies sur une proie au sang encore chaud.
Mais passons sur cette expérience d'auteur et voyons les bons points du livre :
Les flashbacks du héros dans son pays natal sont d'une teneur émotionnelle bluffante : On suit l'endoctrinement des futurs révolutionnaires dans un pays qui ne sera jamais explicitement cité dans le récit puisqu'il s'agit avant tout d'un symbole. On se rend compte de la lucidité du héros sur ce que son gouvernement manigançait dans son dos : c'est horrible mais il avait l'air d'assumer chacun des actes ignoblement répréhensibles des puissants de son pays. Même quand ses parents en étaient les victimes. Ça fait froid dans le dos, ce personnage lui-même fait froid dans le dos.
Autre point positif, comme à son habitude Chuck met en place des gimmicks tout le long du récit qui permettent de prendre la température du personnage principal. Et à mesure que le récit avance, notre jeune héros dérive peu à peu. La construction de cette lente déchéance se fait subtilement comme un château de carte qui s'écroulerait carreau par carreau, coeur par coeur, pique par... bref vous avez pigé l'idée.
Bon, on peut partir dynamiter ce roman à la manière d'un petit mézigue de bac à sable en geignant comme il a été difficile de ne pas le finir... mouais, fronde facile.
Ou bien on prend le temps d'arriver à la dernière page en réfléchissant sur la lente destruction du personnage et de ceux qui l'entourent.
Alors seulement à ce moment-là, on se rend compte que Pigmy décrit la lente déchéance de l'american way of life ; la dégradation des valeurs familiales ; la montée en puissance du lobby catholique ; la soit-disant suprématie intellectuelle et culturelle d'une partie de la population nord-américaine qui se prend pour une élite, perdue dans un système de consommation de masse déjà infiltré par la pourriture ; la perte des repères originels une fois confronté à l'absence de culture et l'omniprésence des cultes en tout genre (d'un côté de la barrière comme de l'autre).
Le tout se fini comme une sorte de happy end tellement absurde au vue des anciens romans de l'auteur qu'il ne peut être que volontaire, faisant du jeune héros l'exception qui confirme la règle : la société "moderne" et bien pensante des pays "développés", bien plus coriace que n'importe quelle idéologie fanatique sortie tout droit d'un pays sous le joug d'un dictateur sanguinaire, détruit tout.
Au passage, j'adresse une pensée haineuse aux éditeurs français qui ont réussit à détruire toute la subtilité de ce roman en imprimant des couvertures qui imposaient aux lecteurs le pays d'origine du héros, là où l'auteur se bat pendant 300 pages pour que toutes allusions à ce sujet deviennent aussi inutile qu'un couteau avec de la purée.
Preuve que notre industrie franco-française n'y a rien compris.