René, c'est pas du Céline, hein.

J’ai lu René, court récit d’une cinquantaine de pages, lors d’un trajet en train où le livre est toujours le meilleur ami de celui, celle en l’occurrence, qui souhaite faire passer le temps plus vite et surtout faire passer à quiconque l’envie de lier connaissance (sauvage, vous avez dit « sauvage » ?) entre un voisin qui n’aura cessé de pester contre le confort du siège et le peu de place, deux jeunes-filles jacassantes à souhait et un enfant jouant aux jeux vidéos…. Le tout accompagné de tablettes tactiles, Smartphone, console… Si j’vous raconte tous ces détails insignifiants, c’est premièrement pour vous rassurer : non, vous n’êtes pas le seul ringard à lire encore sur du…papier ! Fou ! Et, deuxièmement, après avoir lu ici et là que René était soporifique, pour rester polie, je tenais à prouver que, malgré un environnement peu propice à la concentration et la lecture, j’ai de suite été emportée par Chateaubriand.

Le point le plus « faible » à défaut d’un meilleur terme, c’est surtout l’histoire, qui, soyons francs dès le départ est assez banale, déjà-vue et sert surtout de prétexte à l’auteur pour exprimer son opinion sur d’autres sujets.

René, jeune-homme français exilé aux Amériques, accepté dans une tribu d’indiens dont il a épousé l’une des filles, raconte à son père adoptif et au vieux sachem les causes de ses tourments, de son pauvre caractère, toujours triste, de son impossibilité d’accéder au bonheur. De sa jeunesse heureuse avec sa sœur Amélie, leur courte séparation, leurs retrouvailles, l’évidence que leurs sentiments l’un pour l’autre sont plus que ceux que devraient être ceux d’un frère et d’une sœur, à l’entrée d’Amélie au couvent pour couper court à cet amour incestueux bien que platonique, sa mort précoce due à trop de dévouement pour les autres et la fuite en avant de René, quittant à tout jamais son pays pour aller traîner ses rêveries mélancoliques dans de nouvelles contrées.

Le plus intéressant sont les différents sujets soulevés par Chateaubriand :
- En précurseur du mouvement romantique, René en est le héros, anti-héros, appelez-le comme vous voudrez, parfait. Solitaire, renfermé, rêvant de grandes passions mais ne les vivant pas, presque mystique lors de grandes envolées lyriques faisant correspondre les forces de la nature déchaînées à ses tourments intérieurs. René, éternel insatisfait, pessimiste, ne semble trouver de la joie qu’auprès de sa sœur tout en se rendant compte qu’elle ne peut lui offrir cette passion, ce souffle de vie qui manque à la sienne. Témoin d’une nouvelle forme de jeunesse, nombres d’adolescents désabusés à l’époque de la parution de « René » se reconnaîtront dans cette œuvre, œuvre que regrettera plus tard Chateaubriand du fait que certains de ses jeunes lecteurs se complairont du coup dans cet état d’esprit dépressif, voir dans certains cas extrêmes attenteront à leurs jours suite à la lecture de ce livre.
- Autre thème récurrent de l’œuvre, celui de la religion chrétienne catholique et l’importance de sa place au sein de la société, de son importance dans l’éducation, la vie des gens au quotidien. On sait que Chateaubriand n’adhérait pas du tout à ce siècle des Lumières, au rejet de dieu. Pour lui, René est l’incarnation parfaite de l’homme qui, sans l’appui de la religion dans sa vie, est perdu, dérive. Amélie, qui finira par entrer au couvent y trouvera la rédemption dans son abandon à dieu, mourant peut-être prématurément mais dans la béatitude trouvée dans la charité apportée aux autres, face à René, qui lui ne cessera de souffrir, son âme ne trouvant pas le repos. On peut être ou ne pas être d’accord avec l’auteur, là n’est pas l’important, pour moi en tout cas. Plus que son point de vue, je m’intéresse surtout à la façon qu’il a de le mettre en avant, en toute in-objectivité, hein, il faut quand même l’admettre.

Et plus que tout, ce qui rend cette lecture très agréable, c’est le style, que Chateaubriand a fort beau. L’écriture, riche, fluide, qui peut sembler assez désuète par moment certes, offre en peu de pages quelques passages superbes, qui vous feront vite oublier que pour certains mots (et honnêtement, il y en a peu) la proximité d’un dictionnaire peut se révéler utile. Le langage morbide, presque mystique par moment est un régal, on se plait à lire et relire certains paragraphes juste pour entendre encore une fois les mots chanter dans votre tête.

Alors voilà, pour une entrée en matière dans l’œuvre de François-René de Chateaubriand, un court récit nécessitant seulement une heure de lecture est ce me semble, l’idéal.

Et ce sera toujours plus enrichissant que les « C’est bien le train pour… ? » ou encore « Ah mais les gens qui téléphonent dans le train c’est in-sup-por-ta-ble ! » (dit avec une voix de crécelle, volume réglé au maximum).
Pravda
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le 6 mars 2013

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