J'ai refermé "Seul dans Berlin" avec un sentiment de solennité, l'impression d'avoir achevé une lecture importante, majeure, fondamentale.
Hans Fallada nous plonge au coeur de la vie quotidienne Berlinoise en 1940, désormais gouvernée dans le moindre de ses aspects par le régime nazi. Il prend ancrage dans un immeuble à appartements et déroule peu à peu le fil de la destinée de ses multiples habitants.
Une dame âgée et esseulée pour laquelle on tremble dès l'instant qu'on apprend qu'elle est Juive, Baldur Persicke, un très jeune et très zélé membre des SS, le discret Juge Fromm qui oeuvre avec noblesse en coulisse et surtout Anna et Otto Quangel, un couple qui vient d'apprendre la mort de son fils unique et qui va entreprendre la distribution hautement risquée, dans les immeubles de la ville, de cartes manuscrites proférant de cinglantes critiques à l'égard du régime.
Il nous donne ainsi à observer de l'intérieur, loin des champs de batailles et des camps de concentration les rouages de la dictature. Il dissèque la brutalité, la convoitise et l'arbitraire qui s'emparent et gangrènent toutes les strates du corps social, ne laissant que très peu de cellules saines et capables de discernement.
L'auteur met au service de son histoire une écriture précise, franche et claire. Il semble ne vouloir en aucun cas distraire son lecteur du cours de l'intrigue, ne recourt à aucune forme de sentimentalisme ou d'effet de style et ne rend aucun des ses personnages particulièrement attachants. Et il réussit pourtant le tour de force remarquable qui consiste à ne laisser planer aucun doute sur l'issue tragique qui attend chacun de ses protagonistes - et la Nation tout entière d'ailleurs peut-on lire entre les lignes - tout en rendant malgré tout le récit captivant. Même, après le très pénible procès fantoche, lorsque l'issue pour les deux héros semble inexorable, Hans Fallada parvient à réintroduire une forme de suspense
par la main du Juge Fromm qui réussit à fournir à chacun d'eux une capsule d'acide prussique leur offrant ainsi une maigre mais précieuse possibilité d'exercer une dernière fois leur libre arbitre. La manière dont ils vont chacun en faire usage est tout aussi poignante que passionnante, en ce sens que l'un va la recevoir comme une liberté et l'autre comme un intolérable tourment.
Il serait trop long de lister ici tous les précieux enseignements qu'il y a à tirer d'une pareille lecture, d'autant que sa portée dépasse clairement le nazisme ou la Seconde Guerre Mondiale.
Mais demeure la question centrale du pouvoir de la littérature, celle de savoir si oui ou non elle est apte à changer le cours des choses. Par son sérieux, sa qualité littéraire et sa gravité "Seul dans Berlin" en a indéniablement le potentiel, mais encore faudrait-il qu'il soit lu précisément par ceux qui en auraient le plus besoin...
Bonne lecture,
Dustinette