Mon exaltation était à son comble et soulevait tout ce qui
m'entourait. J'étais attendri que les Verdurin nous eussent envoyé
chercher à la gare. Je le dis à la princesse, qui parut trouver que
j'exagérais beaucoup une si simple politesse. Je sais qu'elle avoua
plus tard à Cottard qu'elle me trouvait bien enthousiaste ; il lui
répondit que j'étais trop émotif et que j'aurais eu besoin de calmants
et de faire du tricot.
Un quatrième volet qui débute par une sodomie, décrit par notre narrateur aux cris qu'il entend comme une scène de meurtre. Eh oui, on l'oublie souvent mais Marcel Proust était un écrivain incroyablement drôle, et c'est un véritable plaisir que de lire ses traits d'esprit qui émaillent souvent cette oeuvre majeure qu'est A la recherche du temps perdu.
Dans l'attente, on souffre tant de l'absence de ce qu'on désire qu'on
ne peut supporter une autre présence.
Toujours est-il que cette sodomie entre Charlus et Jupien sera un révélateur pour le narrateur-personnage, qui allant bien au-delà de la simple question des "invertis" (terme qu'il utilise pour désigner les homosexuels !!!) et en l'utilisant pour aller au travers de celle-ci, en lui permettant d'avoir une image différente du milieu et des gens qui l'entourent. Mais qui Sodome dit forcément Gommorhe, et cela avec le personnage d'Albertine à cause duquel notre personnage principal va tomber dans les affres de la jalousie, donnant des pages d'une justesse incroyable.
J’avais souvent parlé d’elle depuis ce moment-là et aussi pensé à
elle, mais sous mes paroles et mes pensées de jeune homme ingrat,
égoïste et cruel, il n’y avait jamais rien eu qui ressemblât à ma
grand-mère, parce que, dans ma légèreté, mon amour du plaisir, mon
accoutumance à la voir malade, je ne contenais en moi qu’à l’état
virtuel le souvenir de ce qu’elle avait été.
On ne pourra qu'évoquer aussi celle avec laquelle Proust parle du deuil, à travers le fantôme de la grand-mère ; qui n'a pas éprouvé une forme de remord, surgissant brusquement, car continuant de vivre pleinement sa vie alors qu'on a perdu un proche. On ne peut que se prosterner aussi devant ses réflexions sur la notion de temps et de l'espace, et sur celles, d'une vérité absolue, qu'on ne peut s'empêcher d'assimiler des lieux à des personnes qui y sont liés d'une manière ou d'une autre.
Ainsi Hermenonville, Harambouville, Incarville, ne m’évoquaient même
plus les farouches grandeurs de la conquête normande, non contents de
s’être entièrement dépouillés de la tristesse inexplicable où je les
avais vus baigner jadis dans l’humidité du soir. Doncières! Pour moi,
même après l’avoir connu et m’être éveillé de mon rêve, combien il
était resté longtemps, dans ce nom, des rues agréablement glaciales,
des vitrines éclairées, des succulentes volailles! Doncières!
Maintenant ce n’était plus que la station où montait Morel: Égleville
(Aquiloevilla), celle où nous attendait généralement la princesse
Sherbatoff; Maineville, la station où descendait Albertine les soirs
de beau temps, quand, n’étant pas trop fatiguée, elle avait envie de
prolonger encore un moment avec moi, n’ayant, par un raidillon, guère
plus à marcher que si elle était descendue à Parville (Paterni villa).
C'est véritablement l'oeuvre d'un Artiste avec un A géant...