Sodome et Gomorrhe de Paris à Balbec
Je ne souhaitais pas écrire de critique de "Sodome et Gomorrhe" puis j'ai changé d'avis en me disant que ça me permettrait de prolonger un peu le plaisir de sa lecture avant de passer à "La prisonnière".
Je commence par évoquer le seul défaut du livre, les longues étymologies de noms de lieux, afin de me concentrer sur l'agréable et le sublime.
Ce quatrième tome est le premier dans lequel l'auteur parle explicitement de l'inversion et il débute magistralement par la rencontre de Jupien et M. de Charlus dans une métaphore filée qui lie insectes et fleurs à l'homosexualité.
Puis on revient à la vie mondaine chez le prince et la princesse de Guermantes, ce qui nous permet de savourer à nouveau le regard à la fois intransigeant et attendri du narrateur sur l'aristocratie parisienne du début du siècle dernier. C'est souvent drôle et toujours très juste et précis.
Le narrateur retourne ensuite pour la première fois à Balbec où il retrouve Albertine avec qui il passe l'été, finalement accueilli dans le petit clan des Verdurin, tout comme le baron de Charlus.
Dans ce volume, tous les thèmes développés dans les livres précédents se rejoignent et tous les personnages et milieux qu'on avait découverts jusqu'ici et qui semblaient sans lien les uns avec les autres prennent tout leur sens. Le petit clan du premier tome, Balbec et Albertine dans le deuxième, les Guermantes dans le précédent.
J'ai particulièrement apprécié le passage où le narrateur s'aperçoit enfin que sa grand-mère est morte car il est parfaitement amené et très bien écrit. La façon dont la grand-mère du narrateur survit à travers sa fille (la mère du narrateur) m'a également semblé intéressante.
Comme toujours la plume est acérée, drôle (notamment dans le dialogue avec le lecteur, premier du genre dans La Recherche, vers la page cinquante-deux de mon Folio Classique), lucide, juste, précise, poétique et l'on se retrouve souvent dans le fond, tout en étant subjugué par la forme, à tel point que Proust serait parfois plus habile que nous-mêmes pour exprimer parfaitement nos propres sentiments.
Une autre des forces de Proust est sa capacité, surtout dans ce tome, à nous donner envie de lire d'autres auteurs tels Baudelaire, Flaubert ou Balzac, ainsi que d'écouter certains airs de musique qu'il aime tant (le quinzième quatuor de Beethoven ou un extrait du troisième acte de "Parsifal" de Wagner, par exemple).
Contrairement à ce qu'on en dit, l'écriture de Proust n'est pas difficile et elle est même si belle que chaque volume se lit à toute vitesse, pour peu qu'on prenne la peine de s'y plonger entièrement.