En France, dès qu'il y a cinq messieurs dans un salon, il y a cinq
gouvernements en présence. Ça n'empêche personne de servir le
gouvernement reconnu.
Eugène Rougon, ministre de l'Empereur, tombé en défaveur, présente sa démission. Il prétend vouloir se retirer à la campagne. Ce qui ne fait pas du tout les affaires de sa "cour", composée de gens plus ou moins intelligents, à qui il a promis des services ou des postes. Et il y a cette Italienne, la belle et mystérieuse Clorinde. Rougon a toujours su, jusqu'ici, maintenir à distance les femmes, aussi bien d'un point de vue charnel que d'un point de vue politique. Mais celle-là, non, elle le fascine, elle l'attire...
Eugène Rougon était jusqu'ici dans les Rougon-Macquart une ombre lointaine, menaçante, inquiétante, écrasante, d'un pouvoir semblant illimité, pour ne pas dire quasi divin. Son Excellence Eugène Rougon donne enfin l'occasion de le connaître de près, de très près, en tant qu'être de chair et de sang.
Miteux notable de province arrivé au sommet de la pyramide du pouvoir, en misant sur le bon cheval au bon moment, c'est une fascinante figure autoritaire, pour ne pas dire tyrannique, cynique, sans scrupules. Il se fiche totalement des attributs, à base de sexe et d'argent, que pourrait lui procurer sa puissance. Ce qui l'intéresse lui, c'est uniquement le pouvoir. Dominer les autres, en les caressant ou, au contraire, en les écrasant.
Une grande intelligence devait liguer contre elle toutes les
médiocrités.
Mais cet homme a ses faiblesses. Et c'est cela qui le rend malgré tout attachant pour le lecteur. Il a besoin de sa "cour". Il est conscient de la médiocrité et de l'opportunisme crasse qui animent chacun de ses membres, mais il a besoin qu'on feint de l'admirer. Je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir une profonde pitié lorsque chacune de ces personnes, profondément ingrates, ne manque pas de le trahir. Mais un Rougon, ce n'est pas un Macquart. Un Rougon peut plier comme le roseau, mais il ne se rompt jamais...
Quand les femmes ne vous mettent pas une couronne sur la tête, elles
vous passent une corde au cou.
Et Clorinde, dont le véritable plaisir, c'est d’œuvrer en coulisses, possédée par le démon de l'intrigue politique. Elle n'est nullement intéressée par les choses de l’alcôve. Elle n'utilise ses charmes que pour assouvir son besoin d'intriguer.
Deux personnages d'exception, entourés d'une galerie de caractères secondaires aussi hauts en couleur, et une description des coulisses du monde politique, dans toute sa luxuriante souillure, sous le Second Empire, croustillante et prenante, avec une petite pointe d'humour (chose rare chez l'ami Zola !). Un monde politique pas si éloigné du nôtre, évidemment...
En tous les cas, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à plonger dans les ors des palais, à lire ce sixième opus, assez bizarrement méconnu et mésestimé tout en étant un des plus captivants.