Lorsque j'ai regardé les deux premières saisons de la série, mon intérêt pour l'univers du Sorceleur a été ravivé — cet univers que j'avais découvert initialement dans les jeux vidéo, et singulièrement The Witcher 3.
Et c'est ainsi que, par curiosité, j'ai acheté les premiers romans de la saga, pour me faire une idée des origines dudit univers.
J'ai été soufflé.
La narration est extrêmement originale : il ne s'agit pas vraiment de romans, en réalité l'action est diffractée entre diverses nouvelles, sans solution de continuité chronologique apparente. Enfin, jusqu'à ce qu'on puisse déduire que l'action se déroule à tel moment par rapport à ce qu'on a lu auparavant.
Le plus souvent le récit change d'orientation, en fonction du personnage qui est au cœur du récit : chaque personnage — plutôt les personnages héroïques, bien sûr — a son arc narratif. Comme dans une série télé.
Dans ce dispositif, Geralt est, certes, le personnage le plus important, mais n'est pas toujours au centre du récit. Il peut même, assez souvent, en être absent.
Le point focal du récit serait bien plutôt la jeune Cirilla, dite Ciri, dont il apparaît, au fur et à mesure qu'on s'approche du terme de la saga, qu'elle joue un rôle capital dans le devenir même du monde où se déroule l'action.
Tout le plaisir tient à ce qu'un personnage ne dispose pas des informations que nous, lecteur, avons lues dans un de ces autres chapitres consacrés la plupart du temps, je l'ai dit, à un autre personnage.
On a droit au classique narrateur extérieur à l'action, jamais décrite du point d'un personnage, et surtout pas celui de Geralt. S'il est un élément structurant du récit, ce n'est en aucun cas le héros au cœur de l'action qu'on voit dans la série ou les jeux vidéo évoqués précédemment.
Sapkowski, parfois, "oublie" même Geralt pendant plusieurs nouvelles. L'une d'entre elles, savoureuse et cruelle, prend pour personnage principal un messager à cheval. Je ne vais pas spoiler la fin, mais il accomplit une difficile mission, transmettre un message capital sur le plan politique ; il le mémorise pour qu'il ne puisse pas être intercepté, comme pourrait l'être un banal courrier, et s'en va au galop le porter à son destinataire.
Le point de vue bascule en fin de nouvelle vers un autre personnage.
Je n'en dirai pas plus.
Le fantastique le dispute à la fantaisie, les genres s'interpénètrent dans le torrent d'une langue extrêmement belle et riche, le récit puise à de nombreuses sources d'inspiration, contes, légendes, petite et grande littérature. Sapkowski compose un Moyen âge fantastique où s'agglomèrent des éléments d'autres époques et d'autres cultures : de ce melting pot émerge un univers singulier, où l'intertextualité, parfois, permet humour et clins d'œil.
Les thématiques de la guerre et de la violence, de l'avidité, de l'échec des héros, sont centrales. Mais c'est surtout celle du racisme qui traverse toute l'œuvre.
Un mot de la traduction : je ne parle évidemment pas polonais. Mais comment peut-on réaliser des traductions aussi belles qu'on croirait lire la version originale ?
C'est un vrai bonheur à lire. Un régal.
Je sais qu'il paraîtra à certains qu'à faire autant d'éloges, on tombe dans l'excès.
Peut-être est-ce le cas, mais mon admiration est d'autant plus sincère que j'imaginais trop bien connaître l'univers du Witcher pour que les romans m'intéressent.
Au contraire. Les adaptations qui en sont réalisées ne sont pas mauvaises, loin de là ; mais l'original est d'une si grande valeur, qu'on comprend que les oeuvres issues de la saga de Sapkowski ne sont que des hommages à cette dernière.
(Un fait étonnant pour finir : lorsque CD Projekt Red s'est lancé dans le premier épisode du jeu, ils ont bien sûr demandé l'autorisation de Sapkowski. Ce dernier, qui se plaint aujourd'hui de ne même pas avoir visité les bureaux de l'éditeur du jeu, a cédé les droits, sans intéressement aux bénéfices, pour 5000 € je crois. Les ventes des jeux se comptant par centaines de milliers voire millions, il a dû s'en mordre les doigts jusqu'au coude.)