Pour l'instant, Soumission est selon moi le moins bon des romans de Michel Houellebecq (il me reste à lire Sérotonine et La Carte et le Territoire). Non pas que j'ai passé un mauvais moment à lire ce livre, loin de là même, car je l'ai dévoré en deux ou trois jours, cependant j'ai ressenti comme une certaine redite dans l'organisation du récit, dans le développement des personnages, dans cette manière très houellebecquienne de raconter une histoire. En d'autres termes, Soumission m'est apparu comme un roman "facile", sans grande surprise. On retrouve le même personnage un peu désabusé par la vie, cynique, à la vie sexuelle triste comme dans la plupart des romans de l'auteur. On retrouve, cette fois ci avec plaisir, l'humour désinvolte de Houellebecq qui me fait souvent éclater de rire.
Avec le recul, quand je repense au tintamarre qu'avait provoqué la sortie du livre en 2015 avec toutes les accusations que l'on sait : islamophobie, provocation à la haine etc. C'est juste délirant car cela met en exergue à quel point nous vivons dans une sorte d'hystérie collective des valeurs progressistes. Soumission ne dit rien de mal de l'islam ni même des musulmans. Pas un mot. Pas une phrase, rien. La violence implicite de ce livre est à l'encontre de l'Occident, des européens, en l'occurrence ici les français, capables par pur cynisme, par égoïsme et individualisme de se laisser disparaître. Il faut reconnaître que Houellebecq parvient de manière magistrale à mettre en place l'acceptation d'un changement radical des paradigmes de notre société (état séculier à état religieux) non pas grâce à des descriptions de ces mutations à l'échelle globale mais, fidèle à son style, en inscrivant son récit dans une narration subjective cantonnée au regard d'un seul homme : François, professeur de littérature dans une université parisienne. La morale du récit est forte, sans concession. Quand on accepte de se soumettre à une culture exogène pour ne pas faire de vague et parce que rien ne mérite de se battre (ni nos valeurs, ni notre culture, ni nos femmes), que rien ne mérite de prendre les armes et que la violence "c'est mal", arrive ce qui doit arriver : la disparition nette et sans bavure de notre civilisation. La subtilité de l'auteur se retrouve dans l'idée à contrecourant des théories prospectives du camp nationaliste et/ou patriote fantasmant bien souvent une guerre civile, que le passage d'une France laïque à une France islamique se fera en douceur lors d'une élection présidentielle, par simple et consensuelle voie démocratique. Dès lors, pourquoi se battre ? Pourquoi remettre en question le scrutin ? Pourquoi remettre en cause la sacro sainte démocratie ? Formidable satire. Formidable remise en question de nos modes de vie. Et question sous-jacente posée au lecteur qui court tout du long des 300 pages : sommes-nous morts à ce point ? La réponse est oui. Nous sommes morts. Le morbide et le glauque sont à nous, Houellebecq sait parfaitement nous le jeter au visage. La vitalité et l'espérance sont ailleurs.
Encore une fois, Michel Houellebecq se positionne astucieusement dans l'angle mort de notre civilisation en insérant sa plume dans les plaies ouvertes de nos faiblesses. J'ai trouvé ce texte efficace, drôle parfois, mais convenu. On voit très vite où l'écrivain nous embarque et où il veut nous emmener. Ceci étant, j'ai quand même passé un bon moment. Le roman se lit très vite mais on reste sur notre faim une fois la dernière page tournée. J'aurais apprécié davantage de prises de risques car on a le sentiment que l'écrivain est en mode pilotage automatique, qu'il ne sort jamais vraiment de sa zone de confort même si on peut lui octroyer l'acuité incroyable, quasiment la préscience, dans le choix du sujet, au vu des événements dramatiques de janvier 2015.