Prologue, histoire de Mouchette
Histoire de Germaine Malorthy, fille ambitieuse d’un riche brasseur et qui, révoltée d’amour et ivre de liberté, veut fuir son bourg sans promesses de Terninques avec le Marquis Jacques de Cadignan. Mais ce dernier n’a pas l’intention de partir avec la jeune femme, certes sa maîtresse, mais une très jeune maîtresse par qui le scandale peut arriver. Une dispute éclate à l’occasion de laquelle Germaine tue accidentellement le marquis. Germaine fait alors profil bas et reprend sa place dans la maison familiale en s’enfermant dans le mensonge et le secret. Elle se fait l’amante du docteur et député Gallet, avec qui elle passe aux aveux. Elle perd rapidement son enfant.
Première partie : La tentation du désespoir
Histoire de l’abbé Donissan, être singulier à la foi exceptionnelle, devenu le curé de Lumbres, et dont nous est narré la jeunesse et ses épreuves. Le parcours de sainteté est un chemin dialectique, où la piété, la grandeur d’âme, la charité et la commisération universelle ont à s’éprouver en ce qu’elles ne sont pas, en leur contraire pour les dépasser en les intégrant. Ainsi la jeunesse du futur abbé est avant tout une épreuve, celle d’une conscience intranquille tiraillée par le mal dans sa quête inépuisable de Dieu et désespérant de n’être jamais plus tenté. Donissan s’y inflige d’innombrables châtiments et mortifications, avant de les laissés au motif qu’eux-mêmes provoquent un soulagement que la foi condamne. Par conséquent il en arrive ensuite à une sorte de suicide moral, en pactisant pour un temps avec les ténèbres et le néant, tendant à répudier en lui-même toute espérance. Mais toujours la puissance de sa foi résiste et triomphe, comme en cette nuit mystique et allégorique de mise à l’épreuve unique où, perdu et épuisé, il n’est pas loin de se confier à une figure de Satan avant de s’en écarter vigoureusement. Par cette épreuve aux traits de l’ultime, Donissan accède à un don, un genre supérieur de connaissances, non intellectuel mais tout intuitif qui lui permet de saisir en elle-même la conscience humaine, en sa pure vérité ramassée mais non réduite. C’est au terme de cette nuit éprouvante s’il en est qu’il rencontre Mlle Malorthy. Fort de son nouveau don émanant de sa puissante pitié, de sa surnaturelle charité, il sonde l’âme de la jeune femme et voit en elle le bébé mort, l’amant tué. C’est toute son histoire, une histoire à la fois détaillée et saisie dans sa quintessence, le vice répété encore et toujours, que Donissan révèle à une Mouchette ébahie et profondément ébranlée. L’abbé parle et tout en elle se met en branle, en perspective ; tout se fléchit à commencer par son orgueil. Elle se voit double, triple, multiple et incessamment répétée, seconde en tout ce qu’elle est et a entrepris, comme dépossédée et vaincue. Révélée, accablée et vidée, elle prend la fuite. Désormais seule, dans un état de résistance et de quasi démence, il ne lui reste bientôt de son entrevue avec l’abbé qu’une éminente souffrance. C’est finalement au diable et au néant qu’elle s’en remet par le suicide. Entre-temps, Donissan se confie à son ami et maître l’abbé Menou-Segrais sur sa nuit rocambolesque, la grâce, le don accordé par Dieu, et sa rencontre avec Mlle Malorthy. Le doyen Menou-Segrais n’est pas surpris, fondant depuis des mois de grands espoirs au sujet de cet être singulier qui pourrait bien avoir été « choisi ». Il est plutôt inquiet, conscient qu’il est que les plus grandes grâces sont correctives des plus grandes tentations, conscient que le chemin de perfection auquel semble destiné le vicaire est un chemin solitaire, périlleux, où le zèle sûrement ne suffit point. Précisément, on vient annoncer la mort de Mlle Malorthy. Le scandale public est évité de peu quand Donissan, contre les protestations du père et du médecin, mais suivant la dernière volonté exprimée de la fille, porte la moribonde jusqu’à l’église.
Deuxième partie : Le saint de Lumbres
De nombreuses années ont passé, et nous retrouvons Donissan devenu célèbre abbé de Lumbres, thaumaturge et dispensateur de paix dont la renommée s’étend bien au-delà de son église. Mais en lui-même, toujours la même intranquillité, la même souffrance au côtoiement des vices et péchés répétés à l’infini et du sentiment âpre de l’inutilité de son effort face à la misère de l’homme gangréné par le diable.
L’abbé est appelé en ultime recours par la mère d’un enfant malade qui se meurt. Or il n’a pas le temps d’arriver à son chevet que l’enfant décède. C’est alors que l’abbé se trouve bouleversé par une conviction blasphématoire qui vient le surprendre : il est persuadé qu’il peut ressusciter le jeune mort. Il s’en confie au prêtre de Luzarnes qui l’accompagne, tout en lui faisant part de sa fatigue infinie devant le Mal incurable qui ronge l’humanité. Par la vivacité des images mobilisées, vivacité qui n’est qu’une des formes de l’éloquence de sa sincérité, l’abbé véhicule toute la force de son désespoir répondant à celle de Satan, qui poursuit chacun sans relâche. Le vieil abbé se révèle être à bout de force, cependant que le prêtre de Luzarnes, d’abord étonné, maintenant subjugué, l’épaule et l’encourage. L’abbé s’en va donc trouver le petit défunt dans la chambre pour tenter de le ramener à la vie. Le prêtre de Luzarnes et la mère de l’enfant sont alors les témoins d’une scène tragique, un quasi-miracle, puisque l’abbé en prise avec le Mal n’est pas loin de ramener l’enfant à la vie mais n’obtient qu’un cri, un éclat de rire, avant de quitter la chambre.
Un unique et insondable abattement s’empare désormais de l’abbé, terré dans son église de Lumbres. Cependant, les douleurs morale et physique n’ont pas encore raison de lui et de sa présence le jour-même au confessionnal pour écouter le défilé des péchés d’une foule venue en nombre. Une foule venue demander l’absolution dont l’abbé seul sait qu’elle n’est qu’un maillon intégré de la longue chaîne des péchés, dont elle huile bien plus qu’elle ne grippe le rouage…
Le roman se termine avec l’arrivée à Lumbres d’Antoine Saint-Marin, illustre écrivain de l’Académie française, venu dans ses vieux jours rencontrer le saint dont tout le monde parle. De cette rencontre, il nourrit encore un intérêt particulier, celui de parvenir à être en paix avec sa déchéance, sa vieillesse et sa mort prochaine. En effet, l’écrivain qui, en toute son œuvre, s’est toujours employé à railler, la mort y compris, est aujourd’hui contraint de cesser cette dissimulation qu’est l’ironie pour s’affronter mourant. Lucide, il sait bien qu’une vie de plaisirs et de luxure se termine et qu’il s’agit maintenant de se confronter, de se réinventer. La simplicité et la quiétude de la campagne de Lumbres l’y aident déjà. Cependant, l’abbé Donissan demeure depuis quelques heures introuvable. Alors que le prêtre de Luzarnes et un jeune médecin sont à sa recherche, ce sont finalement l’écrivain et sa curiosité qui le retrouvent, mort dans son confessionnal.