Un roman de science-fiction enlevé doté d’une imagination extraordinaire et de cette capacité d’absu

“Parce que dans la zone c’est comme ça ; si tu reviens avec la gratte, c’est un miracle ; si tu reviens vivant, c’est une réussite ; si tu as échappé aux balles de la patrouille, c’est une chance ; et tout le reste, c’est le destin…”
Les frères Strougatski, Arkadi (1925 – 1991) et Arkadi ( 1933 – 2012), les auteurs de SF russes les plus connus au monde - que je lis pour la première fois – furent publiés au USA et en UK en 1977, dans l’indifférence de la communauté américaine de la science-fiction. La pureté morale de ces réactionnaires vis à vis de l’ennemi idéologique fut préservée en ne lisant pas.”
La visite. Les visiteurs vinrent et repartirent. Ni contact, ni message. Rien. Ah si au milieu des villes détruites et des cadavres, les pique-niqueurs laissèrent derrière eux des objets ou des débris, nul ne le sait. A quoi peuvent-ils servir ? Certains sont mortels, d’autres décoratifs : la panacée bleue ou batterie éternelle, les creuses et les creuses pleines, les bracelets, les éclaboussures noires, les éponges, l’argile gazeuse, des épingles, la mortelle calvitie de moustique, l’omniprésente et létale gelée de sorcière, la terrifiante zinzine et la très recherchée boule d’or. Tels des animaux, les humains curieux cherchent et tâtonnent. Ils reniflent et font des expériences. Ils apprennent le danger par les morts violentes.
Ils ne peuvent pas plus en comprendre les usages que le chien, mâchonnant, pensif, cette balle de tennis bondissante, ne pourra connaître les règles, qui plus est anglaises, du jeu de tennis.
“Il était le dernier des vieux stalkers, de ceux qui avaient commencé la chasse aux trésors extraterrestres aussitôt après la visite, quand la Zone ne s’appelait pas encore la Zone, quand il n’y avait ni instituts, ni mur, ni forces de police de l’ONU, quand la ville était paralysée d’horreur, tandis que le reste du monde ricanait du dernier canular des journalistes. ”
Les autorités ferment les Zones. Comme la Zone 51, nul ne peut y entrer sans y être autorisé. La mort y rode, des secrets aussi. l’Institut des cultures extraterrestres veille, l’ONU contrôle. Redrick Souhart est un stalker, de ces aventuriers venus de toute parts. Passeurs, pilleurs, ils rapportent de la Zone tous ces objets inutiles vendus très chers. Et si l’Art Moderne venait de la Zone ?
Un roman de science-fiction enlevé doté d’une imagination extraordinaire et de cette capacité d’absurde très russe. Les personnages sont riches, proches du lecteur. Le mystère et la mort rodent. Les rapports sociaux sont durs. Les amitiés fortes.
“Je l’ai pris par la bandoulière et je lui ai exposé dans tous les détails ce qu’il était, et dans quelle conditions il avait été conçu par sa mère. ”
Seuls parmi la SF, les frères Strougatski posent la question de la relation de l’homme et de l’Univers en pariant que les Extra-Terrestres n’auraient aucun intérêt à communiquer avec les humains attardés, primitifs, inaudible, invisible, dangereux, pathétiques ?

Et si cela n’était qu’un message illustrant le mode de fonctionnement de la machine idéologique des années 70 ?
La Zone suit ses propres règles comme la bureaucratie tentaculaire.
Le marché noir, nécessité vitale en zone socialiste du bonheur planifié.
Premier ou second degré ? Critique des scientistes aveugles de leur ignorance et du matérialisme scientifique soviétique ou respect envers la science ?
“Ces savants doivent tout de même avoir plus peur que nous tous, les gens simples réunis. Parce que, nous, nous ne comprenons rien à rien, tandis qu’eux, au moins, ils comprennent à quel point ils ne comprennent rien.”


“Du bonheur pour tout le monde, gratuitement, et que personne ne reparte lésé ! ”
Ce bonheur ici-bas, promis par ces religions politiques au premier du rang desquelles nous trouvons l’Union Soviétique, n’est-il pas, en une phrase, dénoncé tout bas ?


Partenariat de lecture proposé par l’excellentissime Babelio

Traduit du russe par Svetlana Delmotte, édition définitive établie par Viktoriya Lajoye.
Préface d’Ursula Le Guin traduite de l’américain par Patrice et Viktoriya Lajoye.
Postface de Boris Strougatski traduite du russe par Patrice et Viktoriya Lajoye.

Le roman est aussi disponible depuis 2010 chez Lune d’encre.

Gallimard, Folio SF, 2013, 300 pages pour un très abordable 7,20€


Lectori salutem, Pikkendorff
pikkendorff
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le 30 déc. 2013

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