Des Visiteurs sont venus sur Terre. Sortis d’on ne sait où, ils sont repartis sans crier gare. Dans la Zone qu’ils ont occupée sans jamais correspondre avec les hommes, ils ont abandonné des objets de toutes sortes. Objets-pièges. Objets-bombes. Objets-miracles. Objets que les stalkers viennent piller au risque de leur vie, comme une bande de fourmis coloniserait sans rien y comprendre les détritus abandonnés par des pique-niqueurs au bord d’un chemin.
S’il n’est pas fréquemment cité parmi les chefs d’œuvre de la littérature de science-fiction, il n’en reste pas moins que Stalker aura profondément marqué la culture populaire. Adapté au cinéma par Andreï Tarkovski dans son style si particulier, le roman a également inspiré la série de jeux vidéos S.T.A.L.K.E.R. même si, dans les deux cas, l’histoire s’écarte sensiblement de celle du livre. Le surnom de « stalkers » sert désormais à désigner à la fois les travailleurs qui ont étouffé le réacteur de la centrale de Tchernobyl en avril-mai 1986, et les « touristes » qui visitent aujourd’hui illégalement les alentours de la même centrale.
Le roman, lui, ne se déroule pas à Tchernobyl (il a été écrit en 1972) mais dans une des six Zones visitées par des extraterrestres. Cette Zone est située à proximité d’une ville fictive, dans un pays anglosaxon non spécifié. On y suit Red, stalker jeune mais expérimenté, qui explore illégalement la Zone de nuit. De nombreux phénomènes soudains et incompréhensibles provoquent la mort des stalkers imprudents, attirés par l’appât du gain qu’ils peuvent tirer de la revente des objets mystérieux qui parsèment la Zone. Au fil du récit, on croise des scientifiques désabusés, des policiers obtus, des trafiquants sans scrupules, des agents secrets, des revenants pas tout à fait revenus à la vie, des enfants mutants, mais tout est toujours raconté à hauteur humaine, dans la crasse, la pluie et le froid, dans la peur qui sue de tous les pores de la peau des stalkers en expédition nocturne, dans les vapeurs des bars où tous les protagonistes vont noyer leur désarroi.
Le ton global n’est ni déprimant ni fantasmagorique, il y a seulement des hommes et des femmes tentant de survivre face à une réalité qui leur échappe en grande partie. La principale qualité de ce roman est qu’il est entièrement composé de tranches de vie, sans créatures surhumaines, sans deux ex machina, et sans leçon de morale à la fin. Un Premier Contact sans contact, une épouvante sans monstres, de la sorcellerie sans magiciens.
L’édition Folio SF contient une préface d’Ursula Le Guin (un choix évident pour parler de ce roman tellement humaniste), et elle y souligne très justement que les auteurs évitent toute trace de sarcasme cynique et font preuve de beaucoup de compassion pour leurs personnages. Comme toujours cette préface est à lire après avoir lu le livre, et pour une fois elle est très pertinente (au contraire de celles dont nous abreuve un auteur / éditeur français bien connu).
Cette édition contient également une postface de Boris Strougatski, qu’il faut lire absolument (après avoir terminé le roman). Il y raconte la genèse de l’œuvre, et comment la bureaucratie soviétique a saccagé l’histoire écrite par les deux frères. La liste des passages détaillant le comportement amoral des héros est particulièrement savoureuse. Elle témoigne de l’insondable inculture des censeurs et d’un puritanisme qui n’avait rien à envier à un catholicisme moyenâgeux. Elle a également le mérite de mettre en lumière le contexte dans lequel ce roman a été écrit, en lui ajoutant une dimension supplémentaire.
Arkadi et Boris Strougatski : Stalker – 1972
Originalité : 4/5. Sur le fond et sur la forme, une des grandes qualités du roman.
Lisibilité : 4/5. Direct, clair, sans fioritures mais très bien écrit.
Diversité : 3/5. Peut-être une légère faiblesse mais le roman est très compact (moins de 300 pages).
Modernité : 5/5. Ce livre aurait pu être écrit hier.
Cohérence : 4/5. Ça aurait pu déraper en patchwork un peu indigeste, mais les auteurs ont su garder la maîtrise sur un récit pas si évident.
Moyenne : 8/10.
A conseiller si vous n’êtes pas effrayé par une lecture un peu sale et nerveuse mais réellement fascinante.
https://olidupsite.wordpress.com/2024/10/13/stalker-arkadi-et-boris-strougatski/