Sur les cimes du désespoir par reno
Il y a de ces œuvres que l'on découvre un peu trop tard. Il est de ces écrivains comme Nietzsche ou Artaud qui ont pour nous l'avantage de nous avoir précédés. Cioran est de ceux-là. Certains écrivains nous font découvrir de nouveaux mondes, une autre sensibilité. Ceux-là nous accompagnent en nous-mêmes. Bien entendu, il ne saurait être question de réunir les uns et les autres au-delà de ce seul caractère : l'abîme. L'abîme et son corolaire : les cimes. Il ne s'est bien sûr jamais agi de trouver dans une œuvre des solutions. Mais savoir que quelque chose a été possible malgré ça. Il y a dans ces génies un acharnement à ne pas tenir les choses pour acquise et d'être descendu voir, quelles qu'en soient les conséquences et selon le mot de Char (que je me permets de voler pour l'occasion) je sais gré à ces hauts voyageurs de s'être souvenu, de nous avoir rapporté.
Cioran, par ce livre, par ces aphorismes jetés en grappes sombres, ne nous apprend rien. Il ne nous apprend rien sinon que quelque chose a dû être suffisamment possible pour vivre. Et dans la communauté de ténèbres qui nous environnent, dans lesquelles il nous faut, bon gré mal gré, plonger parfois, il est rassurant de savoir que quelqu'un nous avait précédé, il nous tient la main, et nous ouvre la voie. La détresse s'exaspère dans la souffrance et si le repos est possible parfois c'est étrangement d'être consolé de n'avoir pas été seul. Il est de ces livres fatigués, qui nous sauvent une nuit parce que la possibilité d'une ligne sauvée dans le désarroi le plus total est la preuve de la positivité de l'être, quoi qu'en dise Cioran d'ailleurs. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes, ni la moindre des beautés de cet opuscule que d'écarter les ombres en les circonscrivant.