Une écriture blanche, froide, clinique, qui m'a tout de suite rappelé Chanson douce dans son style donc, mais aussi dans la sourde menace qui pèse, une atmosphère anxiogène qui enrobe le récit et ses personnages.
Carole Fives nous fait rencontrer une jeune mère qui élève son enfant de deux ans à Lyon. Le père est parti sans donner de nouvelles, elle vivote tant bien que mal, épuisée, de son job de graphiste freelance, n'a aucun ami, pas de temps pour elle et passe ses journées en tête à tête avec son rejeton qu'elle a souvent du mal à éduquer.
Dès la page 15, par conséquent, le lecteur a déjà envie d'ouvrir le gaz.
L'auteure nous narre le quotidien domestique, terne et déprimant, de cette jeune femme qui a pris pour habitude de fuguer chaque soir, laissant seul son fils endormi dans l'appartement. La journée, elle en profite pour tchater sur des forums à la recherche de conseils et d'éventuels témoignages de soutien. J'ai trouvé très bien vu les comptes-rendus de messages sur le forum, les interventions très réalistes des internautes, ce mélange de solidarité et de jugement anonyme qui est le propre des réseaux sociaux.
L'auteure ouvre son roman d'une citation tirée de La chèvre de Monsieur Seguin de Daudet et cette fable sera le fil rouge, le symbole, l'allégorie de cette mère qui prend un goût dangereux aux échappées qu'elle s'autorise. Pourtant, alors qu'elle tire sur la corde et que le lecteur s'attend raisonnablement à voir un drame advenir, le récit prend une tournure différente, les attentes sont mal récompensées - enfin, la fin est enfin pour moi totalement bâclée.
Carole Fives nous offre un tableau bien sombre de la maternité contemporaine esseulée, de la mère éternellement tiraillée entre ses devoirs domestiques et éducatifs et ses velléités de femme encore jeune et désirant la liberté. Elle dresse un constat radical sur le désarroi et la tragédie qui s'abat qui s'abat sur le parent solo, sur les difficultés à la fois matérielles et sociales afférentes. Elle pointe également la solitude et la froideur individualiste qui semblent régner en maîtres dans la société actuelle : voisine désagréable, concierge avenante mais peu fiable, auxiliaires de crèche la tançant comme une gamine au moindre retard.. Ici, aucune lueur d'espoir.
Le personnage principal est assez peu attachant, à la fois par l'écriture glacée qui la décrit mais aussi pour ses mauvais choix, son immaturité, la forme d'auto-complaisance qu'elle trouve dans son malheur. Mais Tenir jusqu'à l'aube a au moins l'intérêt de mettre en lumière l'une de celles que la doxa pourrait considérer comme une mère indigne, une femme qui fait passer ses propres désirs avant ceux de son enfant - à l'heure des mères parfaites sur Instagram, un peu de contrepoint et de retour à la réalité sociétale sont sans doute salutaires.
En résumé, ce roman a le défaut de sa qualité : il réussit très bien à nous peindre une situation contemporaine déprimante, dans un style qui l'est tout autant. Le lecteur sort de ce roman peiné, le coeur lourd, et un peu sur sa faim, avec le sentiment de s'être légèrement fait avoir sur la marchandise au regard de la fin décevante. Pas sûre que ce soit le genre de lecture adaptée à l'atmosphère hexagonale troublée et asphyxiante du moment...