Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins. S'il y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit.Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul nu à l'extérieur. Comme la vieille du cinquième qu'on a retrouvée à l'abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l'a vue. On a dit Elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors.(…) À la fin de l'année, je passe de Polina à Poline. J'adopte un e en feuille de vigne. Polina à la maison, Poline à l'école. Dedans, dehors, dedans, dehors. 

Sans même s’en rendre compte, Polina Panassenko a perdu son prénom : à force d’être Poline, elle finit par perdre le droit, pour l’administration française, d’être Polina. Cette perte, qui s’ajoute à celle du pays natal et d’une partie de la langue, est le cœur de Tenir sa langue. Si certaines parties de ce récit d’exil sont plutôt classiques, voire ont un petit un air de déjà-vu, l’intérêt du premier roman de Polina Panassenko est précisément sa façon de frotter entre elles ses deux langues, de secouer le français avec le russe, et de chercher les racines d’une identité en fragments dans la perte de son accent ou dans ce fameux -e final de son prénom.


À son meilleur, Tenir sa langue mêle un humour décapant à une discrète subversion politique et, en plus de retracer un parcours intime qu’elle lie à d’autres changements de prénoms dans l’histoire de sa famille, questionne discrètement mais de manière aiguë le principe d’intégration français, si prompt à écraser les particularités. Le roman ne maintient pas cette haute intensité tout du long, mais reste un premier essai particulièrement prometteur. 

Cyril-spoile
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le 5 nov. 2022

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Cyril T

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