Captivant portrait que celui de cette empoisonneuse : on pense avant de le lire que ce sera une plongée dans un esprit maléfique, mais le romancier nous pousse à la compassion envers son personnage, sans en faire une victime innocente. C’est plutôt le portrait d’un être terriblement seul, inadapté à son milieu : tandis qu’elle recherche l’échange, un certain raffinement, les Landes sont décrites presque comme un monde à la lisière de l’humanité, où les forêts renforcent l’impression de séquestration, et où les hommes n’ont que des appétits frustres comme la chasse, à l’instar des hommes primitifs. En ne nous donnant pas la clé de son geste, Mauriac nous pousse plutôt à voir dans son récit comment, de désillusion en désillusion, se distille goutte à goutte le poison du crime.
Il le fait avec une grande modernité dans le propos, notamment quand il évoque l’insatisfaction sexuelle de Thérèse.
J’ai aussi été sensible à l’intelligence de Mauriac, avec des idées à chaque phrase. C’est d’ailleurs le reflet du bouillonnement intérieur de Thérèse, contrastant avec son environnement bien terne. Le récit du voyage de Thérèse vers la demeure conjugale est remarquable, et montre une maîtrise parfaite de la technique romanesque faisant alterner les souvenirs, la description des événements présents et l’anticipation de ce qui va venir, la confrontation avec l’époux. La suite est plus convenue, sans être inintéressante.
Un mot sur l’édition de Jean Touzot que j’ai utilisée, au Livre de poche : il est regrettable que sa préface, même s’il montre une bonne compréhension de l’auteur, multiplie les euphémismes pour évoquer une clé du livre, l’homosexualité possible de Thérèse, et avec plus d’euphémismes encore celle, avérée, de Mauriac lui-même. Pourtant, dans les documents en annexe, Mauriac mentionne parmi les femmes qui ont inspiré son personnage une femme jugée aux assises et « ayant probablement le goût des femmes ». De plus, plusieurs passages laissent à penser que Thérèse préfère Anne, sa belle-sœur, à son mari. On a donc une préface qui suggère à demi-mot ce que ne peut comprendre qu’un lecteur averti. Ce n’est pas ma conception de ce que doit être une édition grand public, mais soit. Par contre, on se passerait bien de remarques homophobes telles que ceci : « En revanche il sait, et il en administre la preuve aux laxistes de la fin de notre siècle, que l’honneur consiste à surmonter une tentation barricadée d’interdits dont en son âme et conscience on a reconnu le bien-fondé. » On appréciera que cette préface ait été écrite en 1989, donc en pleine épidémie du SIDA. Il serait sans doute temps de réviser cette édition.