Inachevé, c’est un peu la sensation que laisse Tous les matins du monde.
Jean de Sainte Colombe, personnage principal de l’ouvrage, est un compositeur français du XVIIème siècle. Je ne le connaissais que trop peu. On le découvre dans l’ouvrage en plein deuil à la suite de la mort de sa femme, esseulé, en proie à des hallucinations où celle-ci lui apparaît. Jusque-là le décor semble prometteur : une maison avec vue sur la Bièvre, le son des violes, deux filles élevées par un père taciturne. Dans ce cadre propice au développement d’une intrigue prenante, l’irruption de Marin Marais (qui fut effectivement l’élève de Sainte Colombe) dans la famille apparaît d’autant plus porteuse de péripéties et de rebondissements. Mais rien. Évidemment il s’en passe des choses ; un peu d’amour, beaucoup de larmes, de la mort, du deuil, de la neige, de la boue. La plume est parfois magnifique, poétique. Mais rien. Ce roman m’a déçu alors même qu’il avait toutes les cartes en main pour me séduire.
Les idées et les théories ne sont jamais qu’esquissées (il en est ainsi de celle de Sainte-Colombe sur un art désintéressé, un art pour l’art). Tout semble finir trop vite, comme si l’auteur était trop pressé pour prendre le temps de parachever ce que le lecteur aurait su apprécier. Lorsque je reprends certaines phrases (« Vos larmes sont douces et me touchent. Je vous abandonne parce que je ne songe plus à vos seins dans mes rêves. J’ai vu d’autres visages. Nos cœurs sont des affamés. Notre esprit ne connaît pas le repos. La vie est belle à proportion qu’elle est féroce comme nos proies. ») je ne conçois pas que le goût que m’ait laissé ce roman soit celui de l’inachevé. La beauté est là, on peut la toucher du doigt, mais pourtant… La déception demeure.
Alors, non je ne pourfendrai pas non plus cette œuvre sur la place publique. Je ne vous conseillerai pas de passer votre chemin. Comme je l’ai dit, la délicatesse de l’œuvre (de son écriture et de son intrigue) est certaine ; il est des phrases qui laissent dans l’esprit une teinte charmante. Mais, à y réfléchir peut-être était-ce cela le problème ? À trop vouloir dépeindre une douceur romanesque, Quignard a sans doute plongé dans une pâleur narrative qui féconde ce goût imparfait de café trop sucré. Dommage.