Ma sœur inexistante disait toujours : « Il y a l'absurde et il y a le n'importe quoi. » Et elle s'y connaissait bien en absurde et en n'importe quoi ! Dans sa non-existence, elle a lu, même décortiqué, une huitaine de fois l'illustre poème de Coleridge (« La Complainte du vieux marin ») et l'autre moins illustre poème de Coleridge (« Kubla Khan ») ; elle a souvent sellé son cheval à l'envers ; elle a cru travailler comme grand reporter sur une planète lointaine ; elle a été un précoce et éphémère génie de la musique incapable d'épeler le nom de Bach ; elle s'est assoupie plus d'une fois sur les bancs de l'université alors que son professeur de Suppression de la Dure-Mère enchaînait les tours de magie inexplicables ; elle a ouvert un nombre incalculable de portes blanches donnant sur des déserts, des forêts pluviales, des escaliers étriqués et des étables.
Rendez-vous compte : elle a même attendu la moitié de sa vie avant de serrer la main du personnage indispensable au bon déroulement des années suivantes, celui qui lui a redonné sa voix et sa curiosité ! Après cette rencontre fortuite, tout a fait ficelle jusqu'à un dernier acte descendu d'on ne sait quel nuage lunatique qui voletait par ici ; et sous cet amas d'eau instable s'est mouillée la mèche de l'inspiration la plus mal entretenue de tous les temps qui pendait sur son front depuis sa naissance. Puis elle a fini ses jours la tête pleine de questions, de ressentiment, de déception et d'algorithmes parce qu'on avait en fait retrouvé mort son chat disparu depuis demain.
... Allons, soyons plus intelligible : malgré quelques passages amusants et d'incessants renvois et connexions bien pensés (mais si mal maîtrisés pour certains), l'ensemble dévale vite la pente du délire halluciné, jusqu'à plonger le derrière en premier dans la mare innommable du récit expédié par avortement car impossible à conclure dignement. Une perte de temps étonnamment fascinante qui fait demander : « Qu'est-ce que c'était que ça ? »