Ma mère sous-louait alors son appart' de Saint-Ouen pour air'b'nb et sous-louait à ses voisins (pour un peu moins cher, espérons) l'appart' du dessous. Vétuste, avec des bassines pour récolter l'eau qui fuyait, avec quasi-interdiction d'allumer l'électricité. Et décoré jusqu'à la moelle de figurines toutes plus kitsch les unes que les autres, invasion anxiogène au possible. Moi, j'étais avec ma copine de l'époque, et nous faisions escale avant un voyage je ne sais plus où (peut-être pour déposer le chien). Je vois alors traîner le tome 1 de Vernon Subutex, dont je n'avais pas entendu parler - même si le nom de Virginie Despentes ne m'était pas inconnu, déjà parce que certains de ses bouquins traînaient chez ma mère depuis quelques années.
Je commence à lire avant de me coucher, plutôt happé par un style cru mais efficace. Et cette histoire de disquaire mélomane qui se retrouve en voie de clochardisation, sommé de renouer avec d'anciennes connaissances, jouer de son charisme passé. Sont cités, entre autres, dès les premiers chapitres Black Flag ou Hatebreed. J'imagine alors la tête sceptique de ma maternelle, peut-être pas immergée dans la culture punk (lyonnaise, LGBT et féministe à fortiori) que Despentes la glissante.
Puis les personnages s'enchaînent (chaque chapitre change de narrateur), Despentes modulant légèrement son style, mais plus encore les points de vue, allant jusqu'à épouser ce qu'on devine être le spectre opposé de ses opinions personnelles (un scénariste ancien skin, par exemple), la plupart des personnages ayant pour point commun d'être mu par une certaine aigreur (la bassiste rondelette qui se venge de son amer insuccès d'époque, la femme au foyer maniaque coincée dans sa vie), quand le tout ne vire pas à un hédonisme nihiliste (le trader trans' brésilien cocaïné). Bref, une constellation para-familiale qui se met en place autour dudit Vernon Subutex, lui finalement plutôt blasé et passif dans l'histoire (mu par une histoire de cassette d'un ami rockstar décédé, sorte de croisement métis entre Kurt Cobain et Bertrand Cantat). Assez prenant, et parfois assez étouffant : Despentes ayant un certain talent pour donner corps à des visions du monde noires, angoissées, cerclées par les réseaux sociaux, la pression de pairs, la connerie ambiante. Le tome le plus sombre, pour sûr, et une plongée vers le macadam.