C’est gênant, désagréable et flatteur de reconnaître dans Gérard son alter égo, ce nigaud crédule qui pourrait être inoffensif si on l’ignorait. Mais il est vrai, qu’il suggère lui-même que nous sommes légion : « Je ressemble à n’importe qui » et d’ajouter, modeste « en moins bien ». Lucide, le frangin.
Si l’idiot de service, moi-même, y a compris quelque chose, c’est qu’il ne s’agit pas de la vie de Gérard Fulmard. Dont on se fiche éperdument. Sinon qu’il sert de subterfuge ès maladresses pour relancer une action qui a tendance à s’enliser. Mais des péripéties et convulsions qui s’agitent au sein d’un petit parti politique où chacun y retrouvera les siens, doublé d’une tragédie antique revisitée à la manière echenozienne.
Il est temps, ici, de placer le petit couplet sur l’auteur, aussi connu soit-il. Jean Echenoz est né en 1947 à Orange (Vaucluse), écrivain et romancier français, qui, à ce jour il a publié dix-sept romans et a reçu une dizaine de prix littéraires, dont le Prix Médicis en 1983 pour Cherokee et le Prix Goncourt en 1999 pour Je m'en vais.
Bon, revenons à Monsieur Fulmard, ou plutôt à cette histoire de parti politique et de tragédie grecque… Si vous avez quelques souvenirs scolaires, rappelez-vous de Phèdre… Vous y êtes ? Transposez… La FPI, qu’est-ce que c’est ? "La Fédération Populaire Indépendante", c’est le nom du fameux parti politique où tout se trame. La FPI, donc, a à sa tête Franck Terrail faisant office de Président Fondateur et sa compagne, Nicole Tourneur, dans le rôle de Secrétaire Nationale et, comme partout, toute une clique d’indispensables qui voudraient être Vizir à la place du Vizir. On apprend que Franck est secrètement amoureux fou de la fille de Nicole, Louise Tourneur.
Voilà que Nicole disparaît… Enlevée ? Séquestrée ? Sur la foi d’une courte vidéo on décide de son décès. Grand émoi au sein du bureau exécutif de la FPI car il faut prévoir la nomination d’un(e) Secrétaire National(e) de remplacement… et Terrail de proposer Louise (et de lui déclarer sa flamme) … et bien sûr, Nicole de réapparaître !...
Et notre ami Gérard, dans tout ça ? Eh bien, en tant que narrateur intermittent et maître-expert en incompétence, il vient pimenter la sauce, histoire de mettre la m… pagaille partout, et il s’y connait en contre-façons… enfin, en mauvaises façons de s’y prendre, et ça va saigner…
Que dire de la littérature echenozienne ? Je crois qu’il faut être un familier pour la goûter dans son infinie profondeur. Ce qui n’est, hélas, pas mon cas. Néanmoins, chemin faisant, page après page, je sens que je me laisse apprivoiser. Je n’en suis pas arrivé au rire profond que l’on me promet, ma culture ne me le permet pas encore, mais je suis persuadé qu’avec un peu de persévérance, de roman en roman, je deviendrais vite un "néoechenozien" de bon aloi.
Si vous êtes béotien, comme moi, je vous déconseille la lecture d’une traite. Ce serait un gâchis pur et simple. Il faut laisser mûrir. Le style paraît aisé, il est subtil et maitrisé. Pas question d’aborder sa lecture comme n’importe quel bouquin, quand bien même aurait-il été élaboré sous la coupole. Attention c’est du spécial, c’est du "Echnoze" ! Pas d’adjectif superflu mais tout est dit, avec une précision prodigieuse, parfois.
Et malgré tout, d’un chapitre à l’autre, on n’est pas certain de retrouver la suite de l’action en cours, la narration en cours, les personnages en cours. L’auteur confesse, en effet « J’aime bien en tout cas l’idée d’avoir l’air de m’absenter dans le cours du récit, de laisser se développer des espèces d’intrusions qui surgissent à l’intérieur de l’histoire, que ce soient des digressions, des descriptions et autres pseudopodes. Cela permet d’introduire des cassures, des changements de rythme, de reprendre son souffle ou de le couper, de respirer différemment en tout cas. »
Alors on vagabonde, on globetrotterise, on bédouinise. De catastrophes en catastrophes, laissons-nous emporter dans l’univers echenozien, pour notre plus grand bonheur, si on adhère.