Saison 1 (7/10) :
Pas mal de découvrir ce « Baron Noir » en pleine élection présidentielle : moi qui ne regarde quasiment jamais de séries françaises, la pertinence de celle-ci n'en est que plus grande. Plutôt bien faite, pas mal rythmée et manifestement documentée, cette première saison peut compter sur des personnages complexes et intéressants, dont l'évolution et les relations les uns aux autres évoluent assez subtilement, entre jeux de dupes, manipulations et défiance, où l'on sent souvent une grande violence intérieure.
De plus, si l'interprétation d'ensemble est à la hauteur (petite mention pour Astrid Whettnall), Niels Arestrup en impose évidemment, mais Kad Merad s'en sort aussi très honorablement dans un contre-emploi total. Ce qui m'a surtout gêné, et même si cela devrait être plutôt un compliment : cette série est « trop » intelligente. Je m'explique : ça va à toute allure, si bien qu'on a parfois beaucoup de mal à comprendre le pourquoi du comment et les motivations des uns et des autres pour prendre telle ou telle décision.
Si bien que si l'on aime la politique sans être directement impliqué dans le milieu, je crains qu'à plusieurs reprises le scénario soit fort confus, ce qui gêne notre capacité d'implication et d'immersion dans l'œuvre. Enfin, alors qu'une des grandes forces de la série était la capacité à voir son héros rebondir et s'adapter à toutes les situations, aussi complexes et intenables soient-elles,
ce tournant « moral » avec prise de conscience m'a paru bien peu cohérent avec le reste,
les scénaristes semblant à mon sens pousser par moments le bouchon un peu loin
(la démission du président de la République : mouais).
Des faiblesses, donc : je n'ai été ni aussi sensible, ni aussi fasciné que je ne l'aurais imaginé, et ce alors que sur le papier j'avais tout pour me régaler. Mais « Baron Noir » a de la personnalité, est capable de nous montrer à quel point un homme seul peut parfois bousculer le pouvoir en place, les luttes hallucinantes pouvant avoir lieu au sein d'un même parti, ainsi que de nombreux aspects de la politique jamais abordées et pourtant essentiels, les allers-retours entre Élysée et réalité du « terrain » permettant une intéressante vision d'ensemble. Pas le coup de cœur attendu, mais une série valant clairement le détour.
Saison 2 (8/10) :
J'avais aimé la première saison, tout en tiquant sur certains aspects pas toujours crédibles. Cela a encore été le cas ici, mais de façon nettement moins régulière et appuyée. D'ailleurs, hormis un léger souci de diction touchant certains acteurs, ce second volet s'avère remarquable, évitant avec beaucoup d'intelligence la redite pour se plonger aussi bien dans les coulisses du pouvoir que des différentes oppositions, dressant un portrait souvent impitoyable de la « gauche » au pouvoir et de la situation politique actuelle.
Ajoutant presque un nouvel arc narratif à chaque épisode tout en gardant un fil conducteur rigoureux, il y a toujours une grande excitation à savoir comment vont évoluer les enjeux, les situations, quelles intrigues et manigances vont apparaître, tout en gardant (quand même) un réel attrait pour cet univers qu'on ne peut s'empêcher de trouver fascinant, dont on aurait (presque) envie d'en faire partie.
Toutes les composantes sont décrites avec justesse, précision, évidemment toutes inspirées de la politique actuelle sans jamais la singer, imaginant une sorte d' « univers parallèle » où tous ces dirigeants seraient chacun plus brillants, plus intelligents, plus fins stratèges que ceux dont ils s'inspirent ouvertement (notamment le personnage de Michel Vidal en réplique de Jean-Luc Mélenchon, sans oublier Amélie Dorendeu, « clone » d'Emmanuel Macron parfois presque jusqu'au vertige), les nouveaux venus apportant tous un regard pertinent sur les différentes lignes politiques, que ce soit Vidal, donc, Thorigny ou Chalon.
C'est aussi dû à l'interprétation impeccable de chacun : Kad Merad prend encore de l'ampleur, mais on pourrait presque tous les citer : Anna Mouglalis, Pascal Elbé, François Morel, Astrid Whettnall, Hugo Becker... Peut-être y avait-il encore moyen d'améliorer la forme, mais le rythme soutenu, le montage, les dialogues suffisent pour louer cette entreprise souvent captivante, partie d'échecs géante où chacun pense avoir pris l'avantage sur l'autre jusqu'au coup suivant, jamais décisif, mais souvent capital : j'ai vécu cette seconde saison intensément, et au vu des futures pistes suggérées dans l'épisode final, j'avoue être très impatient. La suite, vite !
Saison 3 (9/10) :
La seconde saison était déjà montée d'un cran, cet ultime volet atteint des niveaux d'intensité comme j'ai peu eu l'occasion d'en vivre ces dernières années. Ce n'est même pas une question de perfection : on peut toujours trouver à redire aux hypothèses imaginées par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, parfois pour le moins étonnantes, dont certaines proprement inconcevables dans la réalité. Mais c'est justement là que « Baron noir » est une série aussi géniale qu'imprévisible : savoir s'inspirer de l'actualité tout en nourrissant un univers parallèle foisonnant, traçant son propre chemin.
On part ainsi de figures politiques immédiatement reconnaissables pour en faire des « clones améliorés », identique dans les idées mais souvent infiniment plus subtils, notamment dans leur capacité à évoluer, à saisir « l'intérêt général » au détriment de leur intérêt personnel (ce qui, pour le coup, est une énorme différence avec nos politiciens actuels). Surtout, qu'importe que les « prédictions » des créateurs se réalisent ou pas : ce qui compte, c'est l'analyse politique, d'une intelligence, d'une lucidité implacable sur un monde en perdition : repères, idées, clivage gauche-droite ou les hommes eux-mêmes...
À la fois extrêmement dure vis-à-vis de la politique tout en lui rendant un vibrant hommage, cette ultime saison parle d'aujourd'hui, de sa violence constante, du rapport de plus en plus haineux que nous entretenons avec nos dirigeants (sur les réseaux sociaux en premier lieu), le tout filmé comme un thriller, incroyablement dense, chaque nouvel épisode apportant presque une dimension supplémentaire à une histoire déjà très riche (la sous-intrigue allemande exceptée), passionnante plongée au sein d'une gauche en pleine crise identitaire, souvent impuissante face au danger populiste grandissant de façon fort logique.
Dommage, quand même, que certains rebondissements apparaissent vraiment excessifs
(l'empêchement de la Présidente),
même si le scénario s'efforce constamment de les rendre crédibles, ce à quoi elle parvient presque. Il aurait également presque fallu un épisode supplémentaire tant certains aspects auraient mérité d'être approfondis (quid de l'abstention à la présidentielle ? Les reports de voix et les tractations dans ce sens? Cela va vraiment (trop) vite dans les derniers instants), mais qu'importe tant l'écriture, aussi bien dialogues comme personnages, est exceptionnelle, surtout une fois celui de Christophe Mercier introduit, ayant l'immense force d'être à la fois le grand antagoniste de la saison tout en émettant des vérités difficiles à contredire sur le système, rendant parfaitement plausible l'intérêt grandissant des électeurs pour cette personnalité « anti-système ».
Et comme l'interprétation semble se bonifier au fil des saisons, à l'image d'un Kad Merad exceptionnel, superbement entouré par Anna Mouglalis, François Morel et la révélation Frédéric Saurel, difficile de cacher son enthousiasme devant cette conclusion qui m'aura fait vibrer passionnément, et me plongeant dans une profonde dépression une fois l'ultime générique apparu.
« Baron noir », c'est LA grande série politique française que j'attendais depuis toujours, se bonifiant au fil des saisons pour atteindre les sommets, troisième volet bouclant avec maestria cet indispensable absolu de la télévision. Un mot : merci.