Cet anime est fourbe : il semble promettre une comédie et vous entraîne dans un tourbillon de mélancolie et de dépression d'une justesse telle que vous ne pouvez pas vous empêcher de continuer à regarder.
Plus qu'un "slice of life" autour d'un hikikomori persuadé d'être victime d'une conspiration le confinant dans son statut de rebut de la société, Bienvenue à la NHK est le récit (drôle, mais poignant, surtout) d'un passage à l'âge adulte, mal vécu par des post-adolescents japonais qui n'ont pas pu profiter de l'âge d'or de l'enfance et se retrouvent confrontés à la pression sociale de devenir des adultes viables et performants, aptes à servir la société et à s'oublier dans le travail et la dévotion à leur famille.
Tous les personnages (et Satō plus que les autres, évidemment) doivent lutter contre une pression sociale qui leur demande de prendre la succession de leur famille, de s'épanouir à tout prix en couple, de ne pas peser sur les autres, de se sacrifier pour sa famille au prix de leur propre liberté, de se dévouer à leur travail au mépris de leurs propres ambitions... tout en gérant l'image maltraitée qu'ils ont d'eux-mêmes (marginal, inapte, fauteur de trouble, sans valeur), forgée par diverses expériences douloureuses (maltraitance, harcèlement, décès brutaux, mensonges...). Tous ont la tentation de fuir (dans des délires paranoïaques, des univers imaginaires qu'ils créent ou explorent, des fantasmes débridés où la réalité se plie à leurs pulsions, des espoirs de fortune instantanés, ou l'ambition de sauver quelqu'un pour se sauver soi-même) : en vain. Plus forte est la fuite (suicide, perte dans des mondes virtuels, oubli total des réalités - financières - de la vie), plus douloureux le retour à la réalité.
L'anime explore à l'extrême toutes les possibilités de refus de la vie "normée" que la société leur/nous tend, passe sous rouleau-compresseur (humoristique, dans ses excès, mais tellement, tellement juste !) tous ses personnages et laisse émerger, peu à peu, une solution à leurs problèmes : une amitié/un amour si fort(e) et si patient(e) qu'elle/il en vient à gommer toutes les rugosités de l'existence passée, présente et future, et qu'elle/il passe par dessus les pires travers de chacun - difficile de toujours supporter l'égoïsme oscillant d'un Satō, si perdu dans la représentation noirâtre qu'il se fait de lui-même et dans sa névrose, qu'il en méprise complètement les sentiments de ceux qui se dévouent pour lui. A ce lien affectif s'ajoute, pour tous, la nécessité d'inventer leur propre vie sans porter d'oeillères, de ne pas se laisser porter par le "luxe" de l'évasion et de l'auto-indulgence, et de voir dans le système, non un oppresseur vous condamnant à l'échec, mais un adversaire contre lequel on doit vaillamment lutter en réinventant ses codes... Nécessité absolue pour que l'amitié/l'amour ne soit pas un dérivatif malsain à l'angoisse existentielle, mais une vraie force pour avancer.
On pourra reprocher à la série d'être caricaturale et excessive dans sa peinture de la condition d'hikikomori ou des adulescents, mais elle arrive, malgré tout, à atteindre une vraie justesse dans sa peinture d'une société moderne condamnant certains individus à une solitude qui, qu'elle se manifeste sous forme de réclusion volontaire ou d'inadaptation à certains comportements sociaux, les pousse à s'effacer, à disparaître (lire à ce sujet le très bel essai de David Le Breton, Disparaître de soi), et à espérer trouver l'autre âme blessée qui saura résonner en empathie et avancer de concert avec eux dans la vie.
Un constat doux-amer, donc. Comme l'entrée dans l'âge adulte. ;-)