Emily in Paris
4.4
Emily in Paris

Série Netflix (2020)

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J'suis tombé sur Emily in Paris un après-midi pluvieux, perdu sur Netflix... comme toujours. Et perdu je l'étais bien, puisque j'ai fini par lancé un épisode de cette série. Je crois que c'est parce que Netflix m'a lancé un extrait qui était certainement le moment le plus drôle et le plus intéressant parmi les 10 épisodes de la première saison. Ceci dit, je ne me souviens déjà plus de la scène en question. Enfin voilà, lorsqu'on s'ennuie on est amené parfois à adopter une conduite dictée par quelque obscure partie du cerveau qui nous amène à cliquer frénétiquement sur la moindre vignette qui viendrait soulager le manque de soleil.


J'ai lu ça et là que la série était bourrée de clichés, et je ne suis pas d'accord. Un cliché, c'est souvent une manœuvre qui, bien que maladroite, est choisie pour son effet de loupe grossissante. C'est un effet de style choisi par le scénariste pour embellir ou amocher certains traits. À première vue on pourrait donc croire que Emily in Paris regorge de clichés, mais en fait non...


À travers cette série et toute son œuvre, je crois sincèrement que Darren Star illustre sa parfaite ignorance des mœurs humaines, des hommes, des femmes, et en l’occurrence de la vie (pourtant pas si rude) des citadins qui habitent cette poubelle à ciel ouvert qu'est Paris. Darren Star n'en a rien à faire de l'humain, les personnages qui habitent ses créations sont au mieux des outils à fabriquer du "rêve" (au sens où il est très éthéré et insaisissable), au pire des pantins désarticulés qui déambulent dans un produit et non une œuvre.



Darren Star ou l'Ingénu



Pour s'en convaincre, commençons par parler d'Emily, héroïne sur laquelle toute l'attention se concentre. Emily travaille dans le marketing et est en couple à Chicago avec un gars fan des Cubs, elle-même n'étant pas très au fait des règles du baseball. Point. Voilà, c'est tout ce que vous savez sur Emily et il n'y aura pas d'autre rétro-exposition du sujet dans la suite de la série. C'est très... léger. On peut donc dire qu'Émily est vide. Attention, je ne dis pas ça parce que c'est une femme et que je serais sexiste. Vous remplacez Emily par Robert, travaillant dans le web (restons très vague), dont la copine est très très portée sur la mode, lui-même s'habillant chez Célio en achetant le premier truc qui lui va, et vous avez là le même niveau de profondeur pédiluvien.


Ensuite, Emily se voit offrir l'opportunité d'aller travailler à Paris pendant un an. Elle est très enthousiaste, on dirait même qu'un rêve se réalise... Alors qu'elle ne parle pas un mot de français (presque littéralement) et qu'elle ne connaît rien de la culture française. C'est très très léger. Mais comme elle n'a semble-t-elle aucune attache avec Chicago et qu'elle est un personnage aussi vide qu'une bouteille de vodka un lendemain de soirée étudiante... eh bien elle accepte. C'est très léger. Je le dis... tout ça est très léger.


Dans le monde de Darren Star, on ne prend jamais aucun transport en commun pour se déplacer dans une ville, ni-même aucun véhicule. Sauf ! Sauf, bien évidemment... le taxi qui vous amène de l'aéroport. Évidemment.


Dans le monde de Darren Star, un cuisinier n'a pas d'équipe et il peut vous préparer à lui-seul et en 30 minutes un repas digne des grands restaurants gastronomique pour 6 personnes.


Dans le monde de Darren Star, publicité et marketing sont une seule et même chose.


Dans le monde de Darren Star, une chambre de bonne c'est un studio de 40 mètres carrés avec une salle de bain dédiée.


Dans le monde de Darren Star, les influenceurs ne bossent que sur Instagram et ont juste à prendre quelques photos de temps en temps en choisissant un hashtag au pifomètre afin de devenir célèbre ; célébrité dont l'indice de réussite est un like de Brigitte Macron, la meuf la moins influente du monde (sinon le tailleur Chanel des sixties serait sur toutes les filles de Bordeaux... et je n'en vois pas).


Dans le monde de Darren Star, les français sont des connards mal éduqués détraqués sexuel qui fument comme des pompiers tout en étant le summum de ce qui se fait en terme de raffinement ; il suffit de le dire pour que ce soit vrai.


Darren Star ne s'intéresse pas à ces banalités que sont les transports, le travail, la subsistance, la culture (la vraie, pas ce top 10 des chocs culturels bidon façon top 10 YouTube). Ce ne sont pas des sujets qui méritent d'être évoqués par son œuvre. Il va même jusqu'à tenter de nous faire croire qu'on peut ressentir sans rien expérimenter. C'est léger.



Ces choses triviales qui encombrent tant l'esprit des petites gens affairées à leur quotidien qui les accable et dont ils veulent s'évader



Alors... Comment je dois prendre tout ça ? Est-ce là une série qui a réellement pour but de m'emmener vers des royaumes féeriques ? N'est-ce pas du foutage de gueule, tout simplement ?


Si réellement le but est de m'emmener vers de lointains paradis, j'ai envie de dire qu'on est face-là à une rare condescendance. Qui oserait m'évader avec de si pauvres artifices ? Ma vie est merdique mais elle a bien plus de corps et de saveur que ce que Darren Star a à offrir. J'ai plus de joie à aller me soulager aux toilettes qu'à observer Emily embrasser son premier français. C'est une insulte que de croire que ce vide parviendrait à effacer quoi que ce soit de mon esprit. J'ai regardé Emily in Paris comme je regarde une vidéo YouTube à propos de la fabrication des canettes en aluminium. Tout aussi divertissant, bien moins jubilatoire.


Non, non. Je ne crois pas que le féerique soit le but de Darren Star. Je crois tout simplement que monsieur Star est un ignorant total et qu'il l'étale ostensiblement dans toutes ses créations. Il semble croire que l'émotion naît spontanément du vide, qu'elle n'émane pas du vécu. Peut-être Darren Star se fait-il chier dans la vie et il s'occupe à s'émouvoir de romances fantasmées et mal échafaudées, et il s'est dit que ce serait une bonne idée d'en faire une série. Puis d'autres personnes tout aussi ennuyées et ennuyeuses ont trouvé également que l'idée était bonne. Et Emily in Paris fût.


Bref. Autre sujet... les clichés sur les français. J'ai pas de problème avec les français qui habitent la série, ils m'ont fait rire (l'auto-dérision ça a du bon). À la rigueur, ce sont eux qui m'ont permis de tenir. Car pouvoir dire tout ce qui vous passe par la tête à une pouffe qui incarne la vacuité et qui vous donne des leçons de morale à longueur de temps est peut-être ce qui se rapproche le plus du jubilatoire dans cette série.


D'ailleurs... Parlons-en un peu plus d'Emily.



Féministerie



Darren Star déteste-t-il les femmes ? Je ne dis pas ça parce qu'il devrait les aimer ; au moins pourrait-il avoir un minimum de considération pour elles. Dans Emily in Paris, l'étendard de la femme forte, personne d'autre que le personnage principal, est une femme qui n'a apparemment rien d'autre dans sa vie que des amourettes sans conséquences et un boulot irréel.


Concernant les amourettes, la nana est plus impactée par la possible perte de son compte Instagram ou par la perte d'un pot de beurre de cacahuètes que par la rupture avec son petit-ami. Et concernant le boulot, il semblerait que pour Darren Star le génie d'une femme se résume à croquer une fraise face à un smartphone.


Sinon, euh... Bah, je voulais parler plus d'Emily, mais en réalité je n'ai rien d'autre à dire. Car il n'y a rien à dire. Rien. Emily n'est pas. Elle n'a pas d'existence. C'est un porte-manteau ambulant avec des lèvres pulpeuses et c'est tout.


Voilà, voilà. C'est triste. Je ne suis pas une femme, mais j'ai une mère... et cet enculé il a insulté ma mère.



Clap de fin



C'était par moment tellement superficiel que j'ai eu envie de me trancher les veines à l'idée que je pourrais vivre dans ce monde dépeint au rouleau par Darren Star. À l'idée que ce serait moi qui vivrait dans une bulle exceptionnelle et non pas l'inverse. Perdant ainsi pied dans la réalité, je sentais ma vie devenir vaine et douloureuse... Une vie durant laquelle il serait impossible de créer quelque connexion que ce soit avec qui que ce soit, une vie condamnée à la solitude, une vie faite d'isolement. Une vie vouée à être témoin d'un déclin civilisationnel évident qui serait considéré par tous autour comme une apogée...


Et donc, Emily in Paris n'a pas eu sur moi l'effet qu'elle aurait dû avoir. Pourtant je suis très friand de comédies romantiques, même très basses du front, mais malheureusement je ne suis pas une gamine écervelée de 12 ans dont le rêve est d'être « dans le marketing » à porter des vêtements hors de prix. Et c'est normal, d'être écervelée à 12 ans. Oui, c'est normal. Y'a un age pour tout. M'enfin... c'est ça le but d'un réalisateur, émouvoir des êtres influençables qui ne connaissent encore rien de la vie ? Ah non, c'est le pognon. Et c'est là la réelle conclusion... le pognon.


J'ajoute un point à la note pour Lily Collins qui est très charmante (« malgré / grâce à » son rictus à la paupière gauche). Oui, c'est une série superficielle et j'ai donc le droit de répondre à ses avances par une réaction équivalente de superficialité.

kevsler
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le 11 oct. 2020

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kevsler

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