J’ai un problème avec les adaptations à l’écran. J’ai souvent cette curieuse pensée : puisqu’il y a une base déjà prête et fignolée, eh bien… le boulot des animateurs ne serait-il pas peut-être plus aisé ? Qu’est-ce que ça pourrait apporter de plus à une œuvre déjà bien polie ? C’est peut-être bien pour ça que je ne donne pas le ô combien vénérable 10. Je sais, c’est idiot.
Parce que le média change tout. La perception. Notre travail à nous, pauvres glandus animateurs (votre serviteur en est un, mais je ne me mettrais jamais à leur niveau), c’est de donner vie à la tâche de couleur sur le papier (ou d’écran). Du coup ! Je lui donne un « pseudo 10 » dans ces lignes du texte ! J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui défilent en bas de la page car pavé césar. Parce que j’ai pas mal de choses à vous confier sur ce petit chef-d’œuvre qu’est Erased.
Boku dake ga inai machi. Autrement, La ville où je suis le seul à avoir disparu. L’anime a vu son nom s’occidentalisé en Erased. Et dans les deux cas, le sens décrit parfaitement l’essence du titre. C’est l’histoire d’un voyage dans le temps. Un thème souvent abordé dans l’animation japonaise. Si l’effet papillon vous dit quelque chose, nous sommes en plein dedans. Pas de paradoxe temporel, il s’agit ici de corriger son passé.
Satoru Fujinuma est un pauvre type pas si bien que ça dans sa peau. A 29 ans, il semble contempler son avenir la tête baissée. Son lourd passé revient à la charge et lui colle à la peau. Cela se ressent dans son art. Et en tant que mangaka, ses souffrances parasitent son talent. Il n’arrive pas décoller, il semble avoir complètement rayé ses émotions. Pour s’entretenir, aussi peu cela soit-il, il bosse chez le vendeur de pizzas du coin. Je crois que je ne suis pas le seul à m’être demandé si l’auteur du manga original ne s’est pas projeté à travers Satoru. C’est évident selon moi. Vu son passif, le nombre de mangas dessinés jusqu’à aujourd’hui, ainsi que la ville d’où il vient, Hokkaidou… Il est bel et bien « celui qui a disparu de la ville ». Le titre de son manga vaut bien autant pour Kei Sanbe que pour Satoru Fujinuma.
Kei Sanbe. Ce mangaka semble avoir quelque chose à raconter, peut-être un tourment. Rêvait-il de changer un brin son passé ? Nul ne sait, mais le personnage est très étroitement lié à son histoire. Puisque l’homme ne peut revenir en arrière, alors, quoi de mieux que d’utiliser la seule machine à remonter dans le temps qu’il a inventé jusqu’à maintenant ? L’art ! Kei donnera ce don à son « lui fictif » par le biais du manga. Deus ex machina ? Il n’y a aucune explication du pourquoi du comment de la capacité rétrotemporelle de Satoru. Je ne vais pas jusqu’à parler de briser le 4ème mur, mais si je vois juste, on en est pas loin. Et j’espère me tromper, car le passé que recèle le héros du manga est véritablement tragique.
Parfois, au cours d’une journée normale, un drame peut survenir n’importe quand. Lorsque ce genre de phénomène a une chance de se produire, Satoru subit ce qu’il appelle une rediffusion. Il se retrouve projeté d’une à cinq minutes dans le passé, et peut le modifier. Pas pour rien que le taux de mortalité a dû baisser en ville ! On peut aisément dire que notre héros en est véritablement un, incognito. Il a d’ailleurs pour idole un super héros qui lui inspira un certain sens de la justice. Quelle ironie du sort…
Un soir… un terrible drame. Si Satoru est autant rongé par les vers de son passé, c’est parce qu’il fut incapable d’agir pour sauver une vie. Un meurtre est une épreuve trop lourde à vivre pour un enfant qui en est le témoin. Et voilà que le présent ne lui facilite pas non plus la tâche. Mais le destin est tordu et décide de donner une chance inespérée à Satoru. Un papillon (sûrement en référence à l’effet du même nom), un indicateur qu’une rediffusion va avoir lieu, apparaît dans la pire des situations. Pour se sortir du pétrin, ce n’est pas un bond dans le passé qu’il fera, mais un plongeon d’une profondeur jamais atteinte.
De l’an 2006, il retournera 18 ans en arrière. En 1988, Satoru a 10 ans. Devant l’amplitude du désastre dans le présent, le sort a voulu que le garçon règle les problèmes jusqu’à leur racines. Et il se trouve que le mal qui l’a frappé dans le présent a germé depuis ce lointain passé. Qui en est l’auteur ?
Perso, le personnage dont j’ai le plus douté s’est bel et bien avéré être le grand méchant. D’une certaine manière, l’anime veut nous le faire comprendre. Qui pourrait bien avoir accès aux informations nécessaires pour commettre les crimes ? Si l’on se pose cette question, on ne tarde pas à le réaliser. J’ai une petite anecdote, et vous pouvez la vérifier par vous-même :
revisionnez l’opening encore une fois. Durant la séquence sur le toit où Satoru reçoit une balle, faites pause sur les éclats de verre des lunettes. De rien.
Pour être franc, je suis surpris qu’à notre époque, il y a encore des animes qui savent marquer au fer. Enfin, c’est mon cas. On baigne pourtant dans un mélange peu ragoûtant où chaque saison animée est remplie de séries tellement sans intérêt. On nage dans la facilité, le fan service, la réal à trois sous… C’est rassurant tout de même… Je suis content d’avoir regardé quelque chose de vraiment bon. Parce que chaque aspect d’Erased me comble parfaitement.
J’ai adoré la façon d’ont le média joue avec la narration. Le temps nous est présenté comme une pellicule de cinéma. Le projecteur étant la vie-même de Satoru. Les scènes du passé ou ayant un lien avec, sont traitées avec un effet de bandes noires typiquement cinématographiques. Notre héros en est la voix. Quand le climax du récit atteint son apogée, on se retrouve pris à contresens. C’est le Satoru de 10 ans qui prend le relais et narre les choses.
Du côté des crayonnés, j’ai soupiré avec un grand soulagement. C’est franchement très beau, autant dans le background que dans l’animation. Très peu de 3D, elle est même très bien planquée pour ne pas distraire. T’façon, je suis déjà fan du trait de Kei Sanbe, et pas parce qu’il a dans son passif fait des œuvres coquines, mais c’est l’énergie de son dessin qui m’a frappé. Le chara-design a un poil changé, mais l’essentiel est resté. Et puis, Hokkaidou quoi. Le Japon est une étape de la vie importante pour moi, mais alors si on me présente Hokkaidou servit avec un scénario qui tient la route et qui sait m’impliquer, j’ai juste envie de cliquer sur la dixième étoile en haut de la page !
Et si l’œil est comblé, quid des oreilles ? Ma foi, une grande part de mon implication dans le récit est due à sa bande-son. En-dehors des très bons opening et ending (j’ai ressenti une petite touche nostalgique sur l’ouverture d’Asian Kung-Fu Generation !), Yuki Kajiura a su amplifier mes émotions. Les moments touchant le sont, les instants difficiles aussi. Et quand la pression s’installe sur son fauteuil, on commence à sentir le danger arriver. Un drôle de mélange de thriller et de douceur. Une bonne surprise !
Erased est une pure œuvre d’auteur. Le genre de restes d’âme et de talent qu’un artiste laisse derrière lui et qu’on identifie fortement avec. Sanbe a relâché une part de lui dans son récit. C’est peut-être pour cela qu’elle est la plus aboutie de son portfolio ?
Finalement, je vais essayer de vous dire pourquoi j’ai choisi un titre aussi long pour ce texte.
Vous avez bien compris qui sont les moucherons. Mais si je vous dis Akutagawa Ryounosuke ? Le Fil de l’Araignée, un conte populaire issu de la plume de ce maître de la littérature japonaise, est le noyau qui soutient l’histoire de Satoru. Sanbe propose en quelque sorte, une lecture moderne de ce conte. Et effectivement, ça frappe tout de suite quand on connait le mythe.
Le mythe d’un homme profondément mauvais jusqu’à la moelle. Parce qu’il a causé une avalanche de péchés dans sa vie, il fut envoyé en enfer quand il trépassa. Après une longue période de terribles souffrances, il aperçoit au-dessus de sa tête un fil de toile d’araignée. Là-haut, au-delà de tout enfer et au bout de ce fil, se trouve Shaka, l’être absolu. Et à ses côtés, l’Araignée du paradis terrestre. Cette dernière veut donner une dernière chance au criminel. Parce qu’il a eu l’unique bonté d’épargner une araignée au cours de sa vie.
Le méchant, explosant de joie et se moquant du destin, se lança vers les cieux. Mais en cours de route, il comprit que l’enfer n’en avait pas fini avec lui. Premièrement, il a perdu la notion du temps. Il ne le ressentait plus. Il jouait contre lui. Et deuxièmement, il n’était pas seul. En-dessous de lui, une multitude de damnés grimpaient dans l’espoir de fuir l’éternité incandescente. Alors, dans sa folie qui lui est propre, il se mit à cogner, à repousser les malheureux, en riant comme sait si bien le faire un méchant connard.
L’araignée, voyant que l’espoir qu’elle avait placée en cet homme s’évanouir aussitôt, décida de couper sa toile.
Dans l’ascenseur de l’avant dernier épisode, il y a une toile d’araignée. Durant le grand final, on comprend très bien en quoi ce conte se calque parfaitement sur Erased. La mouche, face aux nombreuses âmes qui ont su sortir de cet enfer, s’est faite repoussée en bas. Nos moucherons, cette bande gamins dont fait partie Satoru, ont finalement pu remonter à la surface.
L’araignée et le papillon. Dans Erased, il s’agit au final d’une seule et même entité.
Je vous laisse sur une dernière note. Pour dire enfin que même la plus insignifiante des choses peut tout changer. C’est peut-être bien le message véhiculé par Sanbe. Benjamin Franklin a un jour écrit la maxime qui suit :
À cause du clou, le fer fut perdu.
À cause du fer, le cheval fut perdu.
À cause du cheval, le cavalier fut perdu.
À cause du cavalier, le message fut perdu.
À cause du message, la bataille fut perdue.
À cause de la bataille, la guerre fut perdue.
À cause de la guerre, la liberté fut perdue.
Tout cela pour un simple clou.
Oh et pour ceux qui n’avaient pas tilté, vous vous souvenez qu’Airi disait avoir un rêve durant les premiers épisodes ? Et qu’elle ne le partagera pas avec une Satoru puisqu’ils n’étaient pas particulièrement proches au début ? Eh bien il vous suffit de voir la séquence finale. Je crois que c’est clair.